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reçurent de personne ni encouragement, ni mot d’ordre et ne formaient point ce qu’on appelait autrefois une faction. « Rampolla, disait un de ses partisans, est tout le contraire du candidat qui promet et qui régale. »

Le secrétaire d’Etat avait, comme tout premier ministre, des ennemis que la mort de Léon XIII enhardit et rendit bruyans. « Nous ne voulons pas du cardinal inféodé aux Français et protégé par Combes. Il faut un pape qui ne ressemble pas à Léon XIII, un pape religieux et qui ne fasse pas de politique. » Voilà ce qu’on lisait dans les journaux. Voilà les propos qu’en se promenant on recueillait de la bouche des profonds politiques, ecclésiastiques et laïques, qui tenaient le conclave sur la place Colonna ou au Pincio. Aucune parole ne ressemble plus à une sottise que celle-là, car c’en est une de reprocher une insuffisance de religion au Pape qui a consacré le plus grand nombre de ses encycliques aux dévotions catholiques, telles que le Rosaire, le Sacré-Cœur et l’Eucharistie. C’en est une autre d’interdire la politique au Pape, quanti la politique ne cesse de s’occuper de lui, le poursuit constamment et s’impose à ses préoccupations quotidiennes. Ces exagérations n’avaient point cours au Conclave, mais le cardinal n’y comptait point uniquement des admirateurs. Il était naturel que les cardinaux de langue allemande ne songeassent point à le nommer. Ils trouvaient, et plusieurs Italiens avec eux, que Léon XIII et son ministre avaient trop exclusivement maintenu la barque de Saint-Pierre dans les eaux françaises où elle n’avait rencontré que des écueils. On affirme que ceux-là votèrent pour le cardinal Gotti.

Quand l’empereur Guillaume vint à Rome, on sait qu’il déjeuna chez son ministre auprès du Pape avant de partir pour le Vatican. Trois cardinaux furent invités avec lui : Rampolla, Agliardi et le préfet de la Propagande. Un des convives, le prince O…, propriétaire du palais de la Légation, dit à Gotti : « Eminence, vous vous trouvez ici en qualité d’héritier présomptif. » Cette petite faveur impériale, en effet, fut considérée comme une sorte de désignation anticipée pour la succession de Léon XIII. C’est donner beaucoup d’importance à un déjeuner. Il est certain que les mérites du cardinal Gotti suffisent et au-delà pour expliquer ses dix-sept voix ; que, si les Allemands ont voté pour lui, ils ne Font pas soutenu bien énergiquement ; qu’il ne leur a donné aucun gage ; que, devenu pape, il ne se serait inféodé à aucune