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Thugut, fit en effet payer son hospitalité en exerçant sur les cardinaux réunis une pression lourde et maladroite qui entrava constamment leurs délibérations et les prolongea pendant trois mois. L’Italie nouvelle a tenu sur ce point la parole solennelle qu’elle a donnée à l’Europe en s’emparant de Rome. Ses hommes d’Etat n’ont obéi certainement à aucune considération pieuse, et M. Zanardelli, en particulier, représentait la franc-maçonnerie au pouvoir ; mais ils ont compris leur intérêt, qui est de persuader au monde catholique que la suppression du pouvoir temporel ne nuit point au pouvoir spirituel, et que l’Italie respecte la liberté de l’Église.

Le Sacré-Collège a donc délibéré avec une sécurité parfaite sans aucune ingérence du pouvoir protecteur, dont les troupes campées sur la place Saint-Pierre et sous la colonnade attestaient avec quelque ostentation la vigilance habile. Un sage ennemi vaut quelquefois mieux qu’un ami maladroit. Jamais non plus conclave n’a été plus exempt de brigues, de compétitions personnelles, d’influences suspectes, et plus exclusivement préoccupa de choisir le plus digne. « Trois choses ne font plus les papes, écrivait Chateaubriand en 1828 : les intrigues de femmes, les menées des ambassadeurs, la puissance des cours. » Rien de plus vrai, mais rien de plus faux aujourd’hui que ce qu’il ajoutait : « Ce n’est pas non plus de l’intérêt général de la société qu’ils sortent, mais de l’intérêt particulier des individus et des familles qui cherchent dans l’élection du chef de l’Eglise des places et de l’argent. » L’intérêt général seul a inspiré les suffrages en 1903, et si les faiblesses humaines qui se trouvent dans toute assemblée d’hommes, si des antipathies personnelles se sont manifestées contre tel ou tel candidat, elles s’ignoraient elles-mêmes et se dissimulaient de très bonne foi sous des raisons plausibles et des considérations de bien public. Singuliers électeurs et singuliers candidats que ces cardinaux ! Ce collège électoral ressemblait, paraît-il, à une magnifique retraite ecclésiastique avec des cardinaux en guise de curés et des scrutins à la place des prédications. Levés de bonne heure, ils se rendaient ou à la chapelle Pauline ou à quelque autre oratoire pour y dire la messe, que servaient les conclavistes. Beaucoup restaient agenouillés pendant longtemps sur le pavé ; beaucoup, avant d’aller voter, retournaient devant le Saint-Sacrement pour prier, et, pendant la journée, on rencontrait dans les galeries-tous les valides, qui se