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particulièrement ingénieux à supposer ou à imaginer et ils rendirent compte de toutes les séances, jour par jour, avec une assurance superbe. À les en croire, le cardinal français et le cardinal espagnol de curie, ligués ensemble, avaient tenu dans une congrégation générale des discours violens contre l’Italie, ce qui n’avait rien de surprenant, le Français étant un Gascon tout nerfs et tout feu, et l’Espagnol un pur fanatique. Or, ni le Français ni l’Espagnol n’avaient ouvert la bouche. Tel cardinal, à tel scrutin, avait réuni vingt-cinq suffrages ; il en avait obtenu quatre. Et ainsi de beaucoup d’autres renseignemens.

Les hommes les plus graves et les plus distingués, ceux qui n’étaient point pressés par l’heure et qui prenaient le temps de rédiger en beau style pour les grandes revues de France, d’Allemagne ou d’Angleterre, n’échappaient point à cette contagion des suppositions gratuites et des affirmations hasardées. Les esprits supérieurs, quand ce sont en même temps des caractères honnêtes, ne réussissent point dans le reportage, auquel ils sont mal préparés par leurs qualités mêmes. Familiers avec les idées générales, mais dépaysés dans le contrôle des menus détails et dans l’appréciation des personnes, souvent naïfs, ils sont exposés à confondre une chambre d’auberge avec le bosquet de la nymphe Egérie, à prendre une commère malicieuse pour la muse de l’Histoire et à raconter magnifiquement de simples potins, si l’on nous permet ce néologisme familier. Il ne faut donc pas s’étonner si en général la presse périodique a mal renseigné ses lecteurs sur l’histoire de la Rome pontificale pendant la quinzaine du 20 juillet au 4 août. Cela n’importe guère et la postérité saura bien s’y retrouver. Cependant, parmi les erreurs commises, il y en a de plus graves et qui ne sont nullement inoffensives. Un illustre écrivain français, M. Etienne Lamy, a publié sur le Conclave des pages où, à côté d’appréciations justes et d’idées élevées, se trouvent des assertions qui ont étonné sous sa plume. D’après M. Lamy, la France aurait fait pendant la période du Conclave la plus triste figure à Rome, où elle « n’a récolté que des tristesses humiliantes et du ridicule. » Il représente notre ambassade auprès du Vatican comme étant impuissante, désemparée et livrée à une complète anarchie, chacun de ses agens tirant de son côté el poussant son candidat. M. Nisard, le chef, tenait pour le cardinal Rampolla ; M. de Navenne, le conseiller, s’affichait pour le cardinal Gotti, les secrétaires et attachés se