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faible gémissement qui était un effort pour dire : Ora pro me !

A la fin des prières, il incline la tête du côté de la fenêtre, Lapponi tire le rideau, et sous la lumière vive la figure émaciée du Pape, son grand front, ses orbites creusées par la souffrance des quinze derniers jours apparaissent, déjà envahis par la pâleur cadavérique. Sa poitrine haletante, que laisse voir la chemise entr’ouverte est soulevée par les dernières respirations qui se font de plus en plus espacées ; il ouvre les yeux lentement, puis les referme, une suprême convulsion agite encore son visage ; puis, c’est fini ! Le grand Pape n’est plus et la majesté de la mort descend sur le pauvre corps exténué et raidi qui a obéi pendant tant d’années à cette âme vaillante. Dans la chambre, tous les yeux sont remplis de larmes. Il est quatre heures moins deux minutes. La nouvelle se répand immédiatement dans la ville, d’où le télégraphe l’envoie dans le monde entier qui n’aura pas ce soir d’autre sujet d’entretien.

Après quelques soins donnés au cadavre, tous les cardinaux passent devant le lit funèbre, s’agenouillent et baisent pour la dernière fois la main du pontife. On laisse ensuite entrer les diplomates, les prélats et les secrétaires qui attendaient dans les antichambres et qui rendent au défunt le même hommage pieux. C’est de cette manière à la fois intime et solennelle que fut inauguré le deuil de la chrétienté.


Mercredi soir 22. — Le corps a été embaumé hier dans l’après-midi, puis déposé sur un modeste lit de parade dans la salle du trône, revêtu de la soutane blanche, du rochet, du camail rouge et du camauro ou coiffure particulière des papes.

Il vient d’être transporté à Saint-Pierre. Pour le descendre, on lui a mis la mitre, la chasuble, les gants et les souliers rouges avec le pallium. La translation s’est faite à huit heures, avec une solennité imposante, à la lueur des flambeaux, par le chemin triomphal que le Pape avait suivi pour aller ouvrir et fermer la Porta Santa. Il était porté à découvert par les bussolanti rouges, escorté par les gardes-nobles, les gardes palatins et les Suisses, les camériers ecclésiastiques et civils, les cardinaux, les princes de l’aristocratie romaine et le corps diplomatique. Rien n’était plus émouvant que cette pompe funèbre qui se déroulait, avec des chants et des prières, le long des escaliers et dans les, grandes salles voisines de la Six Une. Les ténèbres étaient