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Puis il les embrassa et les pauvres cardinaux tout émus ne purent répondre que par leurs larmes.

La bibliothèque privée est une grande pièce à trois fenêtres où Léon XIII a tenu son dernier circolo, et Pie IX, son dernier consistoire, qu’il présida de son lit. Elle est en désordre parce qu’elle a servi de dortoir, de pharmacie et de cabinet de consultation. Là se passent de cruels momens dans l’attente de la catastrophe qui peut se produire de minute en minute. Vers deux heures, je pénètre de nouveau dans la chambre de l’auguste malade, je recommence mon chapelet dans un coin, et j’assiste ainsi aux deux dernières heures de sa vie, à côté du cardinal Rampolla, qui est resté tout ce temps à genoux, du cardinal Satolli, du cardinal Vives et de Mgr Sanz de Samper, qui pleurait. Le cardinal Serafino Vannutelli, le rituel à la main, attendait le signal du médecin pour commencer les prières des agonisans. Des cardinaux, des camériers, des parens du Pape passent et repassent après s’être arrêtés un instant. Quatre petits garçons de sa famille sont amenés, deux à deux, par le docteur Lapponi, entrent dans l’alcôve et baisent la main de leur arrière-grand-oncle, qui esquisse encore un geste de bénédiction. Vers deux heures et demie, paraît le docteur Mazzoni, qui examiné rapidement le malade et s’en va avec un air désolé et un geste qui signifient que tout est perdu. Un peu avant trois heures et demie, Centra présente un peu de glace aux lèvres du moribond, qui le remercie et lui dit : « Centra ! Poveretto ! » Au docteur Lapponi, il murmure d’un air accablé : « Caro Lapponi, soffro assai ! Cher Lapponi, je souffre beaucoup ! » Puis il se tait pour toujours, et on n’entend plus que ce faible râle que connaissent si bien ceux qui sont habitués aux agonies. Cependant il faut que les prières de la recommandation de l’âme soient dites, car un Pape qui va mourir n’est plus aux yeux de l’Eglise qu’un pécheur qui a besoin comme les autres d’être recommandé à la miséricorde de Dieu. A quatre heures moins dix, Lapponi fait un signe, un camérier apporte un petit cierge allumé et un aspersoir rempli d’eau bénite, le cardinal Serafino entre dans l’alcôve et commence d’une voix altérée par l’émotion les litanies des agonisans, tandis que, par une dernière attention, Mgr Angeli, agenouillé tout près du mourant, lui cachait avec sa main la lumière du cierge. Car Léon XIII, tourné vers le cardinal, voyait et entendait encore, et il répondait à chaque invocation par un