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les autres et personne ne crut à cette indifférence. Il y eut, au contraire, des pages éloquentes écrites sur le mourant par les écrivains les moins suspects de cléricalisme, tels que M. Domenico Oliva, dont nous voulons citer quelques lignes.

« Tous ceux qui par cette magnifique nuit de lune se dirigent vers la place Saint-Pierre pour interroger la masse noire et profonde du palais pontifical, comme si ces pierres étaient vivantes et pouvaient parler, se demandent : « Cette nuit sera-t-elle la dernière de Léon XIII ? » La lutte que l’admirable vieillard soutient contre la mort se prolongera-t-elle encore ?… Il paraît qu’il résiste obstinément… Une grande résignation illuminée d’un faible sourire se lit sur son visage et soutient son âme. Fiat voluntas tua, telle est sa pensée. Ci avviamo all’eternità, telle est sa parole. Il y a dans ce vieillard que la mort a peur de toucher une beauté digne d’être célébrée par la plus haute poésie, une beauté faite de lumière, de majesté et de simplicité qui force l’admiration de toute âme bien née, fût-elle refroidie par le doute ou dominée par la passion…

« Le Pape va mourir : il n’y a pas un regard dans le Vatican qui ne vous le dise. Le Pape va mourir : chaque geste de ses serviteurs fatigués vous le révèle. Le Pape va mourir : c’est la parole que murmure tout le palais depuis les cloîtres abandonnés jusqu’aux jardins solitaires qui fournirent au vieillard l’hospitalité de leurs calmes ombrages, depuis les musées où les statues blanches assistent impassibles à l’évolution de l’histoire jusqu’à la Chapelle où les créations énormes de Michel-Ange luttent contre les injures du temps. Il semble que celle fantastique agglomération d’édifices n’ait qu’une âme formée des milliers et des milliers d’âmes qui l’ont habitée et dont les voix se fondent ensemble pour murmurera l’unisson : Le Pape va mourir !… Et dans ce palais on parle tout bas, on marche à pas lents, on a peur, on sent la présence d’un habitant de plus : l’Intruse que personne ne voit, qui chemine mystérieusement le long des fresques merveilleuses et dans les salles sombres, que n’arrêtent ni la consigne des suisses, ni la défense des gendarmes, ni les prières ardentes qui montent vers les autels, et qui va devant elle insidieuse comme le serpent, subtile et ténue comme une ombre, et plus puissante que tous les potentats. Lui, cependant, ne parle plus qu’à Dieu. Sur ses lèvres exsangues erre l’Oraison dominicale, la prière que lui enseigna sa mère et qu’il répétait dans