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que chaque jour il reçût brièvement quatre ou cinq cardinaux à la fois, et chacun fut prévenu, par lettre officielle, comme pour une audience ordinaire. Tous passèrent à leur tour devant son lit, s’agenouillant, lui baisant la main, demandant sa bénédiction et échangeant avec lui quelques paroles. Il s’informa auprès du cardinal Agliardi, nommé récemment chancelier, s’il avait pris possession de ses nouvelles fonctions. « Très-Saint-Père, il me manque encore une pièce, la signature de Votre Sainteté. — Nous y pourvoirons. »

Le cardinal Mathieu lui dit : « Très-Saint-Père, toute la France prie pour votre guérison : daignez la bénir ! » Il répondit : « Je suis heureux qu’elle prie pour moi, mais je voudrais qu’elle se désistât de son hostilité contre la religion. — Très-Saint-Père, la France n’est pas hostile à la religion. Il n’y a qu’un petit nombre d’hommes qui persécutent. — Sans doute, mais ils sont les maîtres et on les laisse faire. » Puis, rappelant le cardinal qui se retirait, il ajouta : « Et votre sœur religieuse ? Ecrivez-lui que je la bénis. » Il y avait plus d’un an que le cardinal ne lui avait parlé de sa sœur et il fut aussi surpris que touché de ce souvenir.

On craignait d’abord que le malade ne mourût avant d’avoir reçu tout le Sacré-Collège. Au contraire, il acheva la seconde semaine de sa maladie au grand étonnement des médecins, et en dépit des reporters, qui ne cachaient pas leur ennui d’attendre si longtemps un dénouement que d’abord ils avaient cru tout proche. Ils étaient réduits à commenter les bulletins ; à interviewer quelque personnage, à faire la chasse aux docteurs Mazzoni et Rossoni, (Lapponi ne sortant plus du Vatican ; ) à glaner çà et là une anecdote ; et quelques-uns se mettaient en frais d’imagination pour décrire la chambre qu’ils n’avaient jamais vue ou rapporter les propos de gens qui ne leur avaient rien dit. Un assez grand nombre avaient établi leur quartier général pour la nuit dans un petit café de la place Saint-Pierre. Ils en sortaient pour interroger les rares personnes qui venaient du Vatican ou pour se promener en fumant leurs cigares sur la place qu’éclairait un magnifique clair de lune. Surtout ils regardaient cette troisième fenêtre qui s’obstinait à rester obscure et fermée, derrière laquelle agonisait le grand vieillard dont ils attendaient la fin. Presque tous en parlèrent avec respect. Il n’y eut pour Rome qu’une seule exception. Un journal socialiste déclara que la mort du Pape ne l’intéressait pas plus crue celle du grand-lama. Il fut blâmé par tous