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cette dépêche serait immédiatement transmise aux ministres de l’Intérieur, de la Guerre et de la Marine afin qu’ils donnassent des ordres aux autorités de Niort, de la Rochelle et de Rochefort pour le succès de la mission dont était chargé le général Beker, c’est-à-dire, comme l’écrivait plus crûment Davout à Beker, « pour lui prêter main-forte. »

La Commission de gouvernement ordonnait d’embarquer Napoléon, même par la force, mais elle ne parlait en aucune façon de le faire partir. Bien qu’informée, par la lettre de Beker du 2 juillet, « que la croisière anglaise rendait la sortie des bâtimens impossible, » elle ne révoquait point ses ordres antérieurs de ne mettre à la voile que « si la croisière anglaise n’était pas en état de s’y opposer. » Ainsi, les membres du Gouvernement provisoire savaient que Napoléon ne pourrait pas sortir de la rade de Rochefort, et, d’autre part, ils lui interdisaient de demander asile à l’escadre anglaise. Ils voulaient le tenir sur une frégate comme dans une prison et l’y garder captif pour faire de lui, s’il était nécessaire, l’objet de négociations avec les alliés. En le laissant se livrer de sa propre volonté à la croisière ennemie, on eût perdu l’avantage de pouvoir le livrer soi-même, et l’on eût donné prématurément et sans profit un gage à la coalition.

En même temps que la dépêche du Gouvernement provisoire, Beker avait reçu des journaux de Paris qui annonçaient comme très prochaine une convention avec les Alliés. Il pressa l’Empereur de prendre promptement un parti, car, en raison des événemens qui allaient se précipiter, il y aurait danger pour lui à rester plus longtemps à Rochefort. L’Empereur ne s’émut point. C’est même en souriant qu’il dit à Beker : « Mais, général, quoi qu’il arrivât, vous seriez incapable de me livrer ? — Votre Majesté, répondit Beker, sait en effet que je suis prêt à donner ma vie pour protéger son départ. Mais, en me sacrifiant, je ne la sauverais pas. Le même peuple qui se presse chaque soir sous vos fenêtres pour vous acclamer proférerait demain des cris d’un autre genre, si la scène venait à changer. Les autorités civiles et militaires, recevant des ordres d’un autre gouvernement, méconnaîtraient les miens et rendraient votre salut impossible. » Napoléon connaissait trop les hommes pour ne pas se rendre à ce raisonnement. « C’est bien, dit-il, donnez l’ordre de préparer les embarcations pour l’île d’Aix. Je serai là près des frégates et