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cuirassés de 7800 tonnes devait atteindre 23 nœuds, la vitesse assignée à notre Jeanne-d’Arc. Le programme comprenait encore la construction de quatorze croiseurs protégés. En Russie, comme en France et en Allemagne, on construisait enfin de nombreux contre-torpilleurs.

Ces accroissemens des forces navales à l’étranger étaient étudiés et commentés avec un intérêt passionné en Angleterre, dans tous les cercles maritimes, dans les réunions de la Ligue, partout où s’agitaient les questions relatives à la sécurité et à la grandeur du pays. Aussi personne ne fut-il tenté, dans le Parlement et au dehors, de se récrier contre l’énormité du chiffre, lorsque M. Goschen présenta, pour l’exercice 1898-1899, un devis de dépenses navales s’élevant à £ 23 778 000, soit 595 millions de francs. M. Goschen avait été déjà premier lord de l’Amirauté en 1872, sous le ministère libéral de Gladstone. À cette époque, il avait à défendre un budget de 235 millions de francs, destiné à entretenir et renouveler une flotte que montaient 60 000 hommes d’équipage. Maintenant il lui fallait 000 millions pour entretenir une flotte de plus de 200 bâtimens, nourrir et payer un personnel marin de 106 000 hommes et construire de nouveaux bâtimens de guerre, toujours en progrès sur les précédens, la flotte nouvelle s’usant et se dépréciant avec une effrayante rapidité.

Le chiffre de 595 millions de francs ne comprenait même pas la totalité des dépenses navales. Il y avait encore un budget annexe pour des travaux maritimes à Gibraltar et sur divers autres points de l’immense empire. Ce budget, créé par le Naval Works Act, avait été voté pour la première fois en 1897. Il se renouvelait et s’accroissait chaque année ; il était de 30 millions de francs pour l’exercice 1898-99. Il dépasse 100 millions pour 1903-1904. Lorsque M. Goschen présenta, en mars 1898, son exposé annuel, aux Communes, il déclara qu’il déclinait toute prétention à l’ « optimisme officiel, » avoua que, loin de redouter que la Chambre et l’opinion publique ne fussent offusquées d’un tel grossissement des crédits, il devait s’excuser au contraire de ne pas demander davantage. Mais, si les dispositions de la nation à faire tous les sacrifices nécessaires pour la marine nationale n’avaient pas de limites, la force des choses en imposait une à la capacité de production des chantiers privés et des arsenaux. En 1897, la grande grève des mécaniciens avait arrêté les travaux et retardé de sept mois l’exécution du programme.