Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espagnole à laquelle on avait cependant attaché quelque valeur. Les premiers-nés de la future flotte américaine s’appelaient le Texas, l’Indiana, le Massachusetts, l’Orégon, le Iowa, le New-York et le Brooklyn, bâtimens de 8 500 à 10 500 tonnes, de vitesse assez médiocre, mais puissamment armés.

Dans l’Extrême-Orient, le Japon s’était révélé puissance navale après la guerre contre la Chine. Les chantiers d’Elswick travaillaient pour lui. On savait qu’avant peu le pavillon japonais flotterait sur deux cuirassés de 12450 tonnes, le Fuji-Yama et le Yashima[1].

Ces comparaisons si suggestives furent présentées au Parlement par sir Charles Dilke au commencement de 1897 (6 mars). Il dit les inquiétudes des patriotes vigilans, dénonça l’insuffisance du personnel, les longs délais de la construction. Heureusement l’Amirauté avait pour chef, dans la personne de M. Goschen, le successeur de lord Spencer, un homme joignant une grande intelligence à une haute probité et imbu de toutes les conceptions du patriotisme maritime. Il sut calmer les appréhensions de sir Charles Dilke et de ses amis[2] et fit mieux encore : quelques mois plus tard (juillet), il rassura le pays tout entier en lui donnant cette splendide leçon de choses que fut la revue navale du Jubilé de 1897.

Cent cinquante navires de guerre de toute taille furent réunis à Spithead : 21 cuirassés d’escadre, 13 croiseurs protégés de première classe, 26 de seconde classe, 80 contre-torpilleurs, torpilleurs et navires de service. Une centaine de ces bâtimens avaient

  1. Depuis 1896, les chantiers anglais ont construit pour le Japon quatre autres cuirassés, d’un déplacement de 15 000 tonnes, type Shikishima, et six croiseurs cuirassés de 9 750 tonnes.
  2. « Il y a, dit-il, ce que l’on peut appeler une balance de force entre les marines de l’Europe, et nous devons veiller avec sollicitude à ce que cette balance ne soit pas troublée par quelque effort extraordinaire d’une puissance navale. Les programmes en eux-mêmes ne m’effraient pas, mais si une puissance par un effort anormal nous paraît compromettre la balance générale de la force navale, l’Amirauté et le gouvernement devront examiner la situation, et je ne doute pas qu’ils n’aient l’appui de la Chambre des communes pour toutes les mesures qu’ils pourront juger en ce cas indispensables. » M. Goschen donnait implicitement raison à sir Charles Dilke, et redisait avec les amiraux, la Navy League, le Times et toute la presse, le mot d’ordre patriotique : « Si, dans une pensée d’économie, nous laissons mettre en péril notre suprématie sur mer, le résultat inévitable sera non pas « la paix, les économies, la réforme, » mais « la guerre, la ruine, la dissolution de l’empire. » M. Morley lui-même, un ami déterminé de la paix, reconnut qu’il était indispensable pour l’Angleterre d’avoir une marine non pas seulement puissante, mais « toute-puissante. »