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des « meilleurs canons, » un patriote se hâta de faire savoir au pays, dans les colonnes du Times, que l’Angleterre possédait bien 43 navires cuirassés, mais que parmi les canons dont étaient armées ces unités, on en comptait encore 367 se chargeant par la bouche, « les plus mauvais canons du monde, et non pas les meilleurs, » et que, si l’on devait combattre une flotte ennemie pourvue de canons se chargeant par la culasse, on subirait un désastre. En fait, la marine britannique n’avait jamais été réellement plus forte, ni dans une meilleure condition qu’en 1893, mais la compétition ardente des autres puissances rendait cette condition relativement faible et devait la rendre relativement plus faible de jour en jour.

Un autre membre fort actif de la Ligue, M. Mac Allan, député libéral aux Communes, démontra que l’Angleterre manquait de croiseurs de 20 nœuds, capables de menacer les côtes de l’ennemi et de protéger la marine marchande ; qu’elle manquait de torpilleurs de haute mer et de destroyers (contre-torpilleurs) ; qu’il lui fallait des cuirassés en plus grand nombre, car l’Angleterre devait pouvoir tenir tête à toutes les marines coalisées du monde entier. Les chantiers étaient inoccupés. Il valait mieux dépenser un penny maintenant qu’une livre plus tard. John Bull ne pouvait se résigner à l’idée de voir un jour ses ports bloqués et ses arsenaux remplis de cuirassés réduits à l’impuissance.

Tout ce concert agit sur les dispositions du monde officiel, et la cause fut bientôt gagnée. Tandis que Gladstone engageait contre la Chambre des lords, coupable du rejet du nouveau projet de Home Rule, voté par les Communes, une lutte où il ne pouvait que se briser, et se retirait subitement en murs 1894, las du pouvoir, attristé d’une succession ininterrompue de défaites, lord Spencer, maintenu premier lord de l’Amirauté dans le cabinet Rosebery, présentait au Parlement et lui faisait adopter, à l’occasion du budget de la marine pour 1894-95, un programme de constructions neuves qui reproduisait à peu près intégralement, sous leur dernière forme, les propositions de lord Charles Beresford et de la Ligue navale.


IV

Ce programme exécuté, la flotte anglaise devait avoir, avant la fin de l’année 1898, une supériorité incontestable sur les