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travail de tête chez le chef de l’État : « — Le 8 (janvier 1663), le Roi, afin de se délasser un peu des soins avec lesquels Sa Majesté travaille si infatigablement au bonheur de ses peuples, prit au palais Cardinal le divertissement d’un ballet à sept entrées, appelé le Ballet des Arts. » Louis XIV redansa trois fois le Ballet des Arts. Mlles de La Vallière, de Sévigné et de Mortemart y eurent un vif succès ; cette dernière était à la veille de devenir Mme de Montespan[1].

Les représentations du nouveau ballet alternent dans la Gazette avec les cérémonies funèbres en l’honneur d’une fille du Roi et de la Reine, morte à six semaines le 30 décembre. Louis XIV avait pleuré son enfant avec cette sensiblerie à fleur de peau par laquelle il ressemble, quelque bizarre que cela puisse paraître, aux philosophes du XVIIIe siècle. Il aurait rendu des points à Diderot pour la facilité à verser des torrens de larmes, et il étonnait souvent la Cour par le sujet de ses attendrissemens. Il trompait la Reine du matin au son, et il pleurait de la voir pleurer quand il la quittait. Il trouva des larmes de crocodile pour la mort de son beau-père[2]. La main tournée, il n’y pensait plus, encore comme Diderot, et n’en perdait ni un rond de jambe, ni un rendez-vous galant.

Au ballet succédèrent d’autres « délassemens, » et il est curieux de voir la Gazette prendre la peine, pour une simple promenade, d’expliquer que le Roi l’avait bien gagnée : « — (7 avril 1663). Cette semaine, le Roi, pour donner quelque relâche à ses continuelles applications pour l’établissement de la félicité de ses sujets, a pris le divertissement de la promenade à Saint-Germain-en-Laye et à Versailles. » Les chroniqueurs mondains emboîtaient le pas[3], et Louis XIV voyait sa « gloire » de grand travailleur aller aux nues, avec sa « gloire » d’homme de guerre et, pour tout dire en un mot, de héros universel. Il ne pouvait même plus commander l’exercice à se ? mousquetaires sans que la Gazette publiât un entrefilet sur « l’admiration de tous les spectateurs[4]. » La France entière se mettait au diapason. Quand il alla prendre possession de

  1. Le mariage eut lieu le 28 janvier.
  2. Philippe IV mourut le 17 septembre 1665.
  3. Cf. la Relation des divertissemens que le Roi a donnés aux Reines, etc., par Marigny (juin 1664).
  4. Numéro du 21 juillet 1663, et passim.