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fête, et que, Monsieur lui ayant demandé s’il les ferait, il lui avait dit que non, et qu’il ne ferait pas l’hypocrite comme lui, qui allait à confesse parce que la Reine-mère le voulait[1].

La conscience du Roi traversait une crise, chacun le sentait. En présence d’un si gros événement, les malheurs de la Grande Mademoiselle achevaient de perdre leur intérêt, déjà réduit à peu de chose pour la nouvelle génération. L’oubli s’accentuait.


V

Dans les premiers mois de son nouvel exil, Mademoiselle fut occupée à tenir tête au Roi. Louis XIV n’abandonnait pas son idée de la marier à Alphonse VI, et Turenne s’efforçait de la « mettre à la raison, » d’où un mouvement de lettres et de visites officieuses qui avaient ce bon côté de rompre la monotonie de Saint-Fargeau. La vie, cette fois, y était lourde ; le vieil entrain n’était pas revenu. Trop fière pour l’avouer, Mademoiselle faisait bonne contenance dans ses lettres. Elle écrivait à Bussy-Rabutin, le 9 novembre 1662 : « Je crois que le séjour que je ferai ici sera plus long que vous ne souhaitez. Si je n’avais peur de passer pour trop indifférente, je vous dirais que je ne m’en soucie guère : peut-être dirais-je vrai ; mais toutes vérités ne sont pas bonnes à dire[2]. » Ses Mémoires sont plus sincères. Elle y raconte qu’au bout de cinq mois de Saint-Fargeau, elle écrivit au Roi qu’elle mourrait, si elle restait là plus longtemps ; que c’était un lieu malsain, à cause des marais dont le château était entouré ; qu’elle « ne croyait point avoir rien fait qui méritât la mort, et une telle mort ;… et que, s’il voulait lui faire faire une plus longue pénitence des crimes qu’elle n’avait pas commis, elle le suppliait de lui permettre d’aller à Eu. ». Louis XIV permit Eu, mais il fit savoir à Mademoiselle qu’il n’avait pas renoncé à la marier au roi de Portugal et qu’il espérait l’amener par son bon procédé « aux sentimens qu’elle devait avoir. » Elle ne s’attarda pas à discuter : « Je partis, et quittai Saint-Fargeau sans regret. » Ce fut un adieu définitif.

Elle venait d’acheter le comté d’Eu, dans des circonstances qui font voir à quel point les fortunes terriennes et seigneuriales de l’ancien régime, qui paraissent de loin si solides, étaient

  1. Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson.
  2. Mémoires de Bussy-Rabutin.