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parlait de se retirer dans un couvent, et avec le Roi lui-même, trop fermé pour que l’on pût deviner comment il prétendait arranger ensemble le plaisir et la religion. Qu’il ne se contraindrait pas sur le plaisir, on n’avait pas été long à s’en apercevoir. Il s’était marié le 9 juin 1660. Un an après commençait le défilé des maîtresses imposées à la famille royale, et à toute la France, elles et leurs enfans, d’une façon qui rappelle plutôt la polygamie orientale que les mœurs de l’Occident. Louis XIV s’était senti incapable d’être vertueux. Un jour que sa mère profitait des attendrissemens d’une réconciliation, — ils avaient été quelque temps sans se parler, — pour lui représenter le scandale de sa liaison avec Mlle de La Vallière, « il lui répondit cordialement, avec des larmes de douleur qui partaient du fond de son cœur, où il y avait encore quelque reste de sa piété passée, qu’il connaissait son mal ; qu’il en ressentait quelquefois de la peine et de la honte ; qu’il avait fait ce qu’il avait pu pour se retenir d’offenser Dieu, et pour ne se pas abandonner à ses passions ; mais qu’il était contraint de lui avouer qu’elles étaient devenues plus fortes que sa raison, qu’il ne pouvait plus résister à leur violence, et qu’il ne se sentait pas même le désir de le faire[1]. » Cette conversation avait lieu en juillet 1664. L’automne suivant, le Roi ayant trouvé la Reine sa femme « toute en larmes dans son oratoire, » par l’effet d’une trop juste jalousie, il « lui fit espérer » qu’à trente ans, il serait un « bon mari ; » propos plutôt cynique.

Non seulement il avait les « passions » violentes, mais il ne s’était pas découvert de raisons sérieuses de se gêner sur le chapitre des femmes. On lit dans ses Mémoires, qui étaient écrits en vue du dauphin, un passage, digne de lord Chesterfield, où il expose à son fils ses idées sur les maîtresses de rois. La page se rapporte à 1667, année où commença la guerre de la Dévolution : « Avant que de partir pour l’armée, j’envoyai un édit au Parlement. J’érigeais en duché la terre de Vaujours en faveur de Mlle de La Vallière, et reconnaissais une fille que j’avais eue d’elle. Car, n’étant pas résolu d’aller à l’année pour y demeurer éloigné de tous les périls, je crus qu’il était juste d’assurer à cette enfant l’honneur de sa naissance, et de donner à la mère un établissement convenable à l’affection que j’avais pour elle depuis six ans.

  1. Mémoires de Mme de Motteville.