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toutes les lumières, toute la civilité et toute l’humanité des conditions ordinaires[1], » et rien, peut-être, n’avait contribué davantage à la faire « aimer des hommes et adorer des femmes. » Ses défauts étaient grands, mais ils ne lui furent pas comptés, à cause de ce don de plaire qui était en elle et que les circonstances avaient développé. Madame fut mal sûre et dangereuse impunément. Elle put devenir le centre des basses intrigues de la Cour sans perdre, ni seulement risquer de perdre son empire sur les cœurs. À ce premier bonheur est venu se joindre celui d’avoir Bossuet pour abriter sa mémoire. Henriette d’Angleterre a traversé les siècles « protégée par son Oraison funèbre[2], » comme elle avait traversé la vie protégée par cette fascination que la nature met en de certaines femmes, qui ne sont pas toujours les meilleures.

Monsieur n’avait pas gagné depuis que nous avons parlé de, lui. Il s’était, pour ainsi dire, établi dans le vice, publiquement, sans vergogne, et dans le vice immonde. Le mariage n’y avait rien fait : « Le miracle d’enflammer le cœur de ce prince, explique discrètement Mme de La Fayette, n’était réservé à aucune femme du monde[3]. » Livré à une race de favoris très exigeante, qui ne le laissait point chômer de complications domestiques, Monsieur était devenu décidément un « tripoteur, » selon le mot expressif de sa mère. Entre Madame et lui, leur cour était un lieu d’une agitation inconcevable, une sentine de médisances et de calomnies, de petites perfidies et de petites trahisons ; de quoi donner la nausée, même lorsque cela est raconté par Mme de La Fayette. Je ne sais, en vérité, si cette dernière a rendu service à sa chère princesse en écrivant son Histoire de Madame Henriette. A part les premières pages, jusqu’au mariage, et la belle scène de la mort, tout à la fin, le reste est un tissu de riens si méprisables à tous égards, que le livre en tombe des mains. Voilà donc tout ce que l’auteur de la Princesse de Clèves a trouvé à dire d’une personne aussi en vue ! d’une belle-sœur à qui Louis XIV confiait les secrets de sa politique et qu’il avait failli trop aimer !

Dans toute la famille royale, les libertins n’avaient à compter qu’avec la Reine-mère, si découragée par son peu de crédit qu’elle

  1. Histoire de Madame Henriette d’Angleterre par Mme de La Fayette.
  2. Le mot est de M. Brunetière.
  3. Histoire de Madame Henriette, etc.