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Elle écrivit à ce dernier pour provoquer une explication ; pas de réponse. Elle confia sa peine à la Reine-mère, qui se borna à ces mots : « Si le Roi le veut, c’est une terrible pitié ; il est le maître ; pour moi, je n’ai rien à dire là-dessus. » « J’avais une hâte épouvantable, ajoute Mademoiselle, que le temps de Forges fût venu, afin de m’en aller. » La saison arrivée, il fallut prendre congé du Roi. Elle voulut en avoir le cœur net : « Sire, si Votre Majesté voulait songer à mon établissement, voilà M. de Béziers… qui passera à Turin ; il pourra négocier mon mariage avec M. de Savoie. — Je songerai à vous quand cela me conviendra et je vous marierai où il sera utile pour mon service ; » d’un ton sec, qui m’effraya fort. Sur cela, il me salua fort froidement, et je m’en allai ; je pris mes eaux. »

Elle eut l’imprudence de parler et d’écrire. Bussy-Rabutin prétend même qu’elle « en avait écrit une lettre au roi d’Espagne, pour s’en faire de fêté auprès de lui, laquelle on avait interceptée[1] ; » mais cela est bien difficile à croire, quelque inconsidérée que fût parfois Mademoiselle. De Forges, elle se rendit au château d’Eu, qu’elle avait acheté depuis peu. Ce fut là, le 15 octobre 1662, qu’elle reçut commandement du Roi de s’en retournera Saint-Fargeau « jusqu’à nouvel ordre. » Elle eut sur sa route « des lettres de tout le monde. » Etre exilée pour avoir refusé d’épouser Alphonse VI, le pays n’était pas encore fait à ces conséquences du nouveau régime. On sut bientôt que Mademoiselle faisait venir de Paris « aiguilles, canevas et soie[2], » en personne qui va avoir du temps devant soi. En somme, si les choses en restaient là, elle ne payait pas trop cher le plaisir de ne pas être reine de Portugal. C’était son avis, et elle était de très bonne humeur.


IV

Son départ ne laissa point de vide dans la jeune Cour ; il y eut une princesse de moins aux cérémonies officielles, et ce fut tout. Pour la nouvelle génération, passée au premier plan avec le Roi, la Grande Mademoiselle n’était plus que « la vieille Mademoiselle, » comme l’appelait l’abbé de Choisy. Jeunes amours et plaisirs de vingt ans n’avaient que faire d’elle, ni, au

  1. Mémoires de Bussy-Rabutin.
  2. Gazette de Loret du 28 octobre 1662.