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nuit leur permettra souvent de se retirer sans trop de peine.

Ces dispositions ont été quelquefois jugées comme devant amener une dispersion des forces. Ce serait vrai, si les groupes de combat étaient fortement constitués ; mais on vient de voir que leur rôle implique une grande légèreté. Leur emploi permet, au contraire, de manœuvrer avec ses forces réunies et de n’engager celles-ci que sur les points où le commandant le juge utile. C’est une application nouvelle du principe toujours vrai de l’économie des forces.

Comment, avec les armes actuelles, pourrait-on concevoir qu’une troupe fût obligée de s’engager, parce que son avant-garde s’est heurtée à l’ennemi ? On s’y verrait cependant amené, si l’emploi des rideaux n’était pas accepté.

Si les procédés paraissent nouveaux, le principe ne l’est pas. L’histoire est pleine d’exemples d’emplois de rideaux stratégiques et tactiques. L’étude de la campagne de 1849 en Hongrie est à ce point de vue instructive.

Dans la portion de la vallée du Danube où se déroulèrent les opérations de cette campagne, le fleuve coule d’abord exactement de l’Ouest à l’Est depuis Komorn jusqu’à Waitzen, sur un parcours de 75 kilomètres environ. À Waitzen, le Danube fait un coude à angle droit et coule ensuite au Sud en arrosant Budapesth, à 35 kilomètres de Waitzen.

Après la défaite qu’ils avaient essuyée à Isaszeg, à 70 kilomètres environ à l’Est de Pesth, les Autrichiens s’étaient retirés vers cette place et, sous sa protection, gardaient la ligne du Danube jusqu’à Waitzen.

Le général Görgei, commandant l’armée hongroise victorieuse, résolut de faire croire aux Autrichiens qu’il ne pensait « à rien autre chose qu’à enlever Pesth de vive force » tandis qu’en réalité il voulait contourner par le Nord le coude du Danube de Waitzen et se porter vers l’Ouest pour débloquer Komorn où tenait encore un parti hongrois.

À cet effet, il dirigea les deux corps d’armée des généraux Gaspar et Aulich sur le Danube, entre Waitzen et Pesth, tandis qu’avec les deux autres corps d’armée qui lui restaient, il marchait sur Waitzen et au Nord. Waitzen une fois enlevé, il ne laissait sur le bas Danube que le corps du général Aulich et une des trois divisions du général Gaspar, pour former le rideau stratégique.