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cette œuvre a été exécutée. Alors que ceux qui, durant toute leur existence, s’étant appliqués au métier de peintre, ont quelque peine à se démêler dans ces problèmes difficiles, comment ceux qui n’ont jamais touché un pinceau arriveraient-ils d’emblée à les résoudre ? « Est-il certain, disait à ce propos Fromentin, en protestant contre cette tutelle où les littérateurs voudraient tenir les peintres, est-il certain qu’ils y entendent quelque chose, et ne serait-ce pas surprenant de les voir du premier coup poser le doigt sur des vérités qui nous échappent à nous[1] ? »

Pour se renseigner de façon plus directe sur la technique des peintres et pénétrer plus avant dans l’étude de leur talent, les artistes n’ont-ils pas d’ailleurs un moyen d’information qui leur appartient exclusivement ? En essayant de copier les œuvres des maîtres, la difficulté d’en donner une fidèle reproduction ne leur fait-elle pas mieux discerner les motifs de la supériorité et des qualités spéciales qui sont propres à chacun d’eux ? Avivées par un tel exercice, les facultés d’observation acquièrent une finesse et une perspicacité plus grandes. On sort de soi-même pour tâcher d’imiter ses modèles, et ce contact immédiat et prolongé est assurément plus efficace pour apprécier justement leurs œuvres que les notes les plus détaillées prises en leur présence. Sur toutes les questions de technique, il faut donc le reconnaître, ce sont les artistes seuls qui peuvent décider et qui font l’opinion. Les meilleurs critiques, les plus avisés parmi ceux qui ne pratiquent pas la peinture, sont ceux qui, ayant fréquenté assidûment les peintres, ont su donner une forme plus littéraire ou plus piquante à des jugemens qu’ils tenaient d’eux. Mais, même ainsi renseignés, si peu qu’ils ajoutent d’eux-mêmes à ces jugemens, ils risquent pour la plupart de s’égarer. Que de fois nous voyons l’impropriété des termes, la préciosité des mots, la subtilité plus ou moins intelligible des adjectifs révéler, malgré eux, leur ignorance complète ou le vide de leur pensée !

Évidemment nous ne prétendons pas que tous les peintres soient aptes à juger de la peinture. Chacun d’eux du moins, si exclusif que nous le supposions, trouve en face d’un tableau des raisons de blâme ou de louange que seule la connaissance de la technique de son art a pu lui suggérer. Si, tout comme un autre, il a chance de se tromper sur des questions d’attribution, qui

  1. Programme de critique ; Gazette des Beaux-Arts, t. XXI, p. 62.