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qu’elles requièrent. Que de fois, en revanche, les déclassés de la littérature ou de la politique ont essayé de se faire un nom ou une situation en traitant de questions d’art auxquelles ils étaient complètement fermés ! Dans toute œuvre d’art, cependant, bien des élémens d’appréciation ne sont guère accessibles qu’aux seuls artistes. Ses mérites ou ses défauts, pour être exactement discernés et mis en pleine lumière, exigent des dons, un apprentissage et une instruction auxquels le sentiment seul ne saurait suppléer. Or, ce n’est que par le sentiment et par des considérations philosophiques ou littéraires plus ou moins ingénieuses que le critique étranger à la pratique de la peinture peut aborder de pareilles études. Quelque intelligence qu’on lui suppose, par bien des côtés elles lui sont inaccessibles. Sa pensée aura beau se tendre, il y a une part de métier, de technique, très étroitement liée à la valeur d’une œuvre d’art, qui reste pour lui lettre close. Entre une œuvre à peu près bien faite et une œuvre parfaite, comment saisirait-il les différences ? Ce qui constitue la supériorité d’un maître implique, avec un niveau suffisant de toutes les qualités nécessaires, la prédominance de l’une ou de plusieurs de ces qualités, et cette prééminence, ainsi que l’avait remarqué de Piles, peut porter sur des points très différens : composition, style, dessin, couleur, etc. A ne prendre même qu’un seul de ces élémens essentiels de la peinture, il y a bien des manières d’y exceller. Le dessin de Van Eyck, celui de Léonard, celui de Michel-Ange, de Raphaël, d’Albert Dürer, d’Holbein, de Rembrandt, de Velasquez, de Watteau, bien que très remarquable chez tous ces artistes, diffère profondément chez chacun d’eux. Dans la couleur, les dissemblances ne sont pas moins marquées ; tout en restant harmonieuse, elle peut être éclatante ou sourde, monochrome ou diaprée, forte ou délicate, belle en elle-même et indépendamment du sujet traité, ou significative à raison de l’intime accord qu’elle offre avec ce sujet. Et notez que ce ne sont pas là des qualités abstraites, mais des ressources d’expression vivantes et positives, et qu’il s’agit pour le critique de savoir et d’expliquer clairement à tous à quel degré ces façons diverses de dessiner ou de colorer répondent aux réalités de la nature ou s’en écartent ; en quoi elles sont personnelles et ce qui les distingue non seulement d’un artiste à l’autre, mais, chez le même artiste, d’une œuvre à une autre, suivant les circonstances et l’époque de sa vie dans lesquelles