Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/882

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sous ce rapport, rien n’est à glaner.

Au point de vue tactique, il en est tout autrement :

« Les enseignemens de la guerre sud-africaine, dit-il, ont des conséquences plus profondes que celles qui apparaissent à la suite d’un examen superficiel. La guerre boer, à un certain point de vue, marquera une époque dans l’histoire de la guerre. Pour la première fois, cette guerre a fait disparaître cette croyance, que la victoire peut être obtenue par l’emploi de troupes en masse, croyance qui nous a été léguée par les campagnes de Napoléon.

« À cette époque, les armes étaient grossières, imparfaites, et un soldat était aussi bon qu’un autre. Il s’agissait principalement d’en rassembler un nombre aussi grand que possible dans un faible espace, pour y être le plus fort.

« La maîtrise de Napoléon dans l’art de conduire les troupes se reconnaissait dans le rassemblement rapide de nombreux bataillons et de centaines de canons sur un point du champ de bataille.

« Depuis, nous avons essayé de l’imiter dans cette manière de faire. Les batailles de 1870 le prouvent, et, dans les exercices théoriques, dans les voyages d’état-major, dans les jeux de la guerre, nous nous exposons au danger de nous fier à une énumération stupide des forces en présence, pour donner la prépondérance à l’un des partis. Cette erreur est aussi imputable aux phases injustifiables dans lesquelles on a voulu diviser la bataille, phases qui sont déjà décidées avant d’avoir commencé.

« Tout cela est changé.

« La guerre sud-africaine a enseigné que le simple groupement mécanique des troupes n’a exercé aucune action sur le champ de bataille de nos jours. C’est là peut-être le plus important résultat, la révélation la plus frappante qu’elle nous ait apportée, et ce qui exercera probablement la plus grande influence sur le développement de l’art de la guerre en Europe.

« La balle du fusil d’infanterie actuel, avec sa trajectoire tendue, peut facilement traverser quatre ou cinq hommes qui seraient en profondeur les uns derrière les autres. L’homme qui précède n’est plus une protection pour celui qui le suit, et celui-ci n’est pas davantage un soutien pour le premier.

« L’infanterie en ordre serré et en formation profonde aura souvent moins de chance de s’emparer d’une position de l’ennemi