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solution tout opposée ; ils rêvent d’unir toutes les colonies par un « Zollverein » impérial et de les fédérer pour résister à la concurrence étrangère. On annonce un voyage de M. Chamberlain aux Antipodes pour convertir à ses projets le Commonwealth et la Nouvelle-Zélande ; mais comment croire qu’un pays qui protège par des tarifs douaniers sa propre production contre la métropole, et qui met les entraves les plus gênantes à l’immigration des citoyens anglais eux-mêmes, puisse marcher dans la voie où l’apôtre du protectionnisme « impérial » essayera de l’entraîner ? Des esprits hardis, plus théoriques d’ailleurs que pratiques, ont porté plus loin encore l’audace de leurs grandioses espérances. Dans son curieux livre, l’Américanisation du monde, M. W. T. Stead entrevoit une fédération générale de tous les rameaux sortis du tronc anglo-saxon, et il se réjouit, comme d’une victoire pour la vieille Angleterre, de la concurrence heureuse que lui font ses enfans émancipés ; volontiers il tenterait de persuader aux Américains, au nom de la gloire de la race, d’entrer dans un vaste système d’union et de fédération qui imposerait au monde l’anglo-saxonisme triomphant. — Les faits ne semblent pas jusqu’ici préparer la réalisation de ces beaux rêves ; au contraire, le spectacle que nous offrent les différentes fractions de la famille anglo-saxonne dans le Pacifique, c’est plutôt une différenciation qui va s’accentuant chaque jour davantage. Modifiés par le climat, les croisemens et surtout la diversité des intérêts, ils tendent de plus en plus à former des organismes distincts, autonomes et séparés.

L’ancienne supériorité commerciale de la Grande-Bretagne est d’ailleurs, dans tout l’Extrême-Orient et dans le Pacifique, battue en brèche par la concurrence triomphante des États-Unis, du Japon, de l’Allemagne. En Chine, en dépit de ses efforts, l’Angleterre ne lutte qu’avec peine contre tant de rivaux ; en Mandchourie, en Corée, elle est presque évincée par les Américains, les Japonais, les Russes. Aux Philippines, elle est distancée par les Américains ; elle l’est par les Allemands dans les îles de la Polynésie. Partout surgissent, devant elle, des concurrens pour ses commerçans, ses bateaux caboteurs, ses industries. A l’exploitation de ces nouveaux marchés, qui s’ouvrent en Asie et dans le Pacifique, elle se rend compte que la force même des choses l’empêchera, sinon de prendre une part, du moins de prendre la meilleure part. Peut-être est-ce par ce