Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/781

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un des séjours d’élection de la race humaine. Plus de cinq cents millions d’individus, presque le tiers de l’humanité, grouillent au grand soleil sur ces terres fécondes. Là devait être fatalement, le jour où la vie se développerait sur le Pacifique, un pôle d’attraction pour l’activité européenne ; là, depuis le temps des Portugais, sont venus les vaisseaux et les marchands des pays d’Occident ; là, au contact du monde jaune et de la civilisation européenne, s’est tout à coup, au milieu du XIXe siècle, révélée une puissance nouvelle, à la fois très vieille et très jeune, qui tient aujourd’hui, dans le monde du Pacifique, l’une des premières places et qui prétend à la première : le Japon.

C’est la guerre sino-japonaise de 1894-1893 qui a dévoilé les conséquences des transformations politiques qui s’étaient accomplies en Extrême-Orient, et qui, d’un seul coup, a placé le Japon parmi les grandes puissances. Le seul fait de l’existence, dans les mers jaunes, d’un État organisé à l’européenne, muni d’une armée et d’une marine très fortes, posait le problème de la domination du Pacifique, car la puissance qui mettrait en circulation les richesses du Céleste-Empire, qui le dirigerait dans la voie de la civilisation et du progrès devait fatalement aussi exercer une action prépondérante sur toute la partie occidentale du Grand Océan. Il apparut dès ce moment que la question de la mise en valeur de la Chine n’était pas seulement en jeu, mais que, selon la prédiction du prince Henri d’Orléans, celui qui saurait faire écouter sa voix en Extrême-Orient pourrait aussi parler haut dans le reste du monde.

Les événemens qui, à l’heure actuelle, agitent l’Extrême-Orient, ne sont que la suite logique de ceux de 1894-1895[1]. On n’a pas oublié comment le Japon, au milieu de son triomphe, fut brusquement arrêté par l’intervention de la Russie unie à la France et à l’Allemagne, et comment le gouvernement du Mikado reçut le même jour, des trois puissances, le « conseil amical » d’évacuer la Mandchourie et de conclure la paix. Il ne tint alors, peut-être, qu’à la prudence et à la fermeté des représentans de la France, que le conflit n’éclatât, dès cette époque, entre la Russie et le Japon. Le traité de Shimonosaki fut conclu ;

  1. Nous ne saurions revenir sur ces événemens et leurs conséquences. On nous permettra de renvoyer à l’article : Qui exploitera la Chine ? paru ici même, le 15 septembre 1897, et au volume : La Chine qui s’ouvre, par René Pinon et Jean de Marcillac (Perrin, 1900, in-12).