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navire, sont en pleine floraison de mai ; ils s’enlacent aux troncs des arbres et leur font comme des gaines roses. Par terre, c’est de la mousse, jonchée de mûres blanches pour la plus grande joie des oiseaux, jonchée de pétales de roses et d’églantines. Des quantités de huppes et de geais bleus, que l’on ne chasse jamais, s’ébattent dans les sentiers sans craindre notre approche ; les huppes surtout sont tout à fait sacrées dans ce bocage, à cause de certaine princesse de légende, dont l’âme habita longtemps le corps de l’une d’elles, — ou peut-être même continue à l’habiter de nos jours, on ne sait plus trop… Le vieux petit palais fermé, bâti au faîte de ce parc ombreux, sur la plus haute terrasse, commence de s’émietter, sous l’action des ans ; dans le sable et la mousse alentour, on voit briller de ces minuscules fragmens d’émail ou de miroir qui firent partie de la décoration fragile… Et que deviennent les belles, qui vécurent dans ce lieu de soupçon et de mystère, les belles des belles, choisies entre des milliers ? Leurs corps parfaits et leurs visages, qui furent leur seule raison d’être, qui les firent aimer et séquestrer, où en sont-ils dans leurs fosses ? Par là sans doute, sous quelque pauvre petite dalle oubliée, gisent leurs ossemens.


Mardi 29 mai. — C’est donc aujourd’hui que toutes les salles du palais de Téhéran me seront montrées, grâce aux ordres donnés par le jeune prince.

Dans les jardins, autour des pièces d’eau, même silence qu’hier et qu’avant-hier ; mêmes promenades des cygnes, parmi les reflets des murailles roses et des grands arbres sombres.

Il y a de tout dans ce palais aux détours compliqués, amas de bâtimens ajoutés les uns aux autres sous différens règnes ; il y a même une salle tendue de vieux gobelins représentant des danses de nymphes. Beaucoup trop de choses européennes, et, contre les murs, une profusion, un véritable étalage de miroirs : des glaces quelconques, dans des cadres du siècle dernier, aux dorures banales, des glaces, des glaces, accrochées à tout touche, comme chez les marchands de meubles. — Pour s’expliquer cela, il faut songer que cette ville n’a que depuis deux ou trois ans une route carrossable, la mettant en communication avec la mer Caspienne et de là avec l’Europe ; toutes ces glaces ont été apportées ici sur des brancards, en suivant des sentiers de chèvre, par-dessus des montagnes de deux ou trois mille mètres