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une table, il y a une collation prête : des aiguières d’eau limpide, une douzaine de grandes et magnifiques coupes de vermeil contenant tous les fruits du printemps, l’une remplie d’abricots, telle autre de mûres, telle autre encore de cerises ou de framboises, ou même de ces concombres crus dont les Iraniens sont si friands. Et on sert le thé, comme au palais, dans de très fines tasses de Sèvres. Nous sommes assis devant une grande baie vitrée, d’où l’on a vue sur le parc, sur le bois de jeunes peupliers qui s’agite au vent de mai comme un champ de roseaux, et sur le Démavend qui semble aujourd’hui un cône d’argent, audacieusement érigé vers le soleil. Le prince, qui est grand maître de l’artillerie, m’interroge sur nos canons, puis sur nos sous-marins dont la renommée est venue jusqu’en Perse. Ensuite il conte ses chasses, aux gazelles, aux panthères des montagnes voisines. Un jour clair d’automne, il a réussi, dit-il, à atteindre l’extrême pointe de ce Démavend qui est là devant nos yeux : « Bien qu’il n’y eût pas de nuages, on ne voyait plus le monde en dessous, il semblait d’abord qu’on dominât le vide même. Et puis, l’air s’étant épuré encore, la terre peu à peu se dessina partout alentour, et ce fut à faire frémir ; elle semblait effroyablement concave ; on était comme au milieu d’une demi-sphère creuse dont les rebords tranchans montaient en plein ciel. »

Le soir, pour rentrer à la Légation de France, il faut comme toujours traverser l’affreux petit désert où pourrissent les bêtes le caravane.

Ensuite, arrivés au pied des montagnes, nous nous arrêtons cette fois pour visiter l’un de ces édens factices et enclos de murs, destinés aux princesses toujours cachées, — le plus ancien le tous, un qui est à l’abandon aujourd’hui et qui fut créé par Agha Mohammed Khan, fondateur de l’actuelle dynastie des kadjars.

C’est une série ascendante de bosquets, de pièces d’eau, de terrasses conduisant à un grand kiosque nostalgique, où tant de belles cloîtrées durent languir. Là encore, on s’étonne de voir cette végétation apportée par les hommes atteindre une telle beauté tranquille, quand, en dehors de l’enceinte, les arbres venus d’eux-mêmes ont l’air si misérables, si mutilés par le vent de neige. Il y a des lauriers géans dont les cimes arrondies ressemblent à des dômes de verdure ; des cèdres, des ormeaux énormes. Les rosiers, aux branches grosses comme des câbles de