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qui me mette d’abord et rapidement au courant de l’état actuel des sciences. Ensuite, nous parcourrons ensemble le Nouveau Continent, depuis le Canada jusqu’au cap Horn, et, dans cet immense voyage, nous étudierons tous les grands phénomènes de la physique du globe. « Monge aimait profondément l’Empereur. Sur le trône, à la tête des armées, il ne lui avait jamais paru si grand, si digne d’admiration, qu’en ce moment où, terrassé, écrasé, foudroyé, il se relevait pour une vie nouvelle. « Sire ! s’écria-t-il dans l’enthousiasme, votre collaborateur est tout trouvé. C’est moi qui vous accompagnerai. » Monge avait soixante-dix ans. Tout en le remerciant avec effusion. Napoléon lui rappela que ce n’était plus l’âge des voyages lointains. Le vieux savant se laissa convaincre, mais il promit et s’occupa aussitôt de trouver à l’Empereur un compagnon digne de lui. En lisant à la Malmaison le livre d’Humboldt, Napoléon continuait le rêve qu’il avait exposé aux yeux éblouis de Monge.

Par instans, cependant, le capitaine se réveillait en lui. On se battait entre Nanteuil et Gonesse. Quand le bruit du canon devenait perceptible. Napoléon s’arrêtait de lire, courait à la table où étaient déployées ses cartes de France, les méditait et piquait d’épingles à grosses têtes rouges et bleues les positions à défendre et la marche probable de l’ennemi.

Sur la fin de l’après-midi, Gabriel Delessert, adjudant-commandant de la troisième légion de la garde nationale, arriva à franc étrier. Introduit auprès de la princesse Hortense, il lui dit que les Prussiens approchaient, qu’ils étaient déjà près de Gonesse, et que l’Empereur eût à se bien garder, car l’état-major ennemi, qui le savait à la Malmaison, pourrait envoyer un parti de ce côté. Hortense communiqua aussitôt cet avis à l’Empereur. Il jeta un regard sur sa carte, et dit en riant : « — Ah ! ah ! je me suis en effet laissé tourner ! » D’après ses ordres, Gourgaud et Montholon visitèrent le parc et les abords au point de vue des positions à occuper en cas d’attaque. De petites reconnaissances, de trois dragons chacune, furent envoyées le long de la Seine, vers Epinay, Argenteuil, Bezons, Chatou et Saint-Germain. Gourgaud se montrait très agité et très inquiet. Il pensait à Charles XII à Bender. « Si je voyais l’Empereur, dit-il, au moment de tomber entre les mains des Prussiens, je lui tirerais un coup de pistolet. »

Presque en même temps, Beker reçut de Davout l’ordre pressant de brûler le pont de Chatou. Il se rendit au bord de la Seine