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des Beaux-Arts conseillait aux jeunes pensionnaires de la Villa Médicis « de renoncer à de trop hautes prétentions, aux recherches d’un art qui veut être subtil et qui n’est que malsain, pour retourner à une étude sincère, à une scrupuleuse observation de la nature... Qu’ils se persuadent bien qu’ils ne doivent pas chercher l’expression de leur pensée en dehors de la réalisation des formes vivantes. Qu’ils méditent enfin, eux qui ne sont encore que des élèves, cette parole du Tintoret : « Je suis heureux de me faire de temps en temps écolier pour rester toujours maître. »

C’est dans cette voie, qui est celle-là même qu’elle a suivie avec tant de fruit depuis plus de deux siècles, que notre Ecole de Rome doit continuer à marcher, s’inspirant de ces sages conseils, qu’on retrouverait presque textuellement, nous venons de le voir, dans les lettres de ses meilleurs guides, qu’ils s’appelassent Errard ou d’Antin, Suvée ou Ingres.

S’adressant à Le Nôtre, envoyé par lui en Italie, Colbert écrivait : « Vous avez raison de dire que le génie et le bon goust viennent de Dieu et qu’il est très difficile de les donner aux hommes... Mais, quoique nous ne tirions pas de grands sujets de ces Académies, ajoutait-il, non sans sévérité, elles ne laissent pas que de servir à perfectionner les ouvriers, et à nous en donner de meilleurs qu’il n’y en ait jamais eu en France. »

Ces paroles du fondateur de l’Académie de France restent vraies comme le bon sens qui les dicta : les meilleures écoles forment le talent, elles ne créent pas le génie, encore bien qu’au génie même, pour qu’il donne ses pleins effets, elles soient indispensables. Beaucoup de ces « ouvriers » dont parlait Colbert, sont devenus, après leur séjour à notre école de Rome, d’illustres artistes, et, parmi ceux-là mêmes qui n’eurent pas l’heureuse fortune d’être ses élèves, combien en est-il dont la dette fut grande envers les maîtres qu’elle leur avait donnés ! Evoquer ces maîtres rappeler leurs œuvres, c’est l’histoire même de l’art français. Où trouver un plus éclatant, un plus sûr témoignage de la part que Rome a prise à sa naissance, à sa durée, à sa gloire ?


ALPHONSE BERTRAND.