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contre l’armée alliée. A midi, cependant, deux déserteurs français arrivèrent dans son camp, disant que Luxembourg marchait depuis la pointe du jour[1]. Guillaume ne s’en émut guère, et se contenta d’envoyer des pelotons en reconnaissance. L’ordre ne fut donné de monter à cheval que quand notre première colonne atteignit la plaine de Landen. L’angoisse fut vive en ce premier moment. Un grand conseil fut convoqué sous la tente du roi d’Angleterre. On y vit accourir l’électeur de Bavière et celui de Brandebourg, le prince de Vaudemont et les députés de Hollande, ainsi que plusieurs généraux. Deux partis furent examinés : profiter de la nuit pour repasser la Geete et se retirer sans combattre, ou bien relever le défi et livrer la bataille. Les délégués des États-Généraux se prononcèrent vivement pour la retraite, invoquant l’infériorité numérique des Alliés, 60 000 hommes environ contre 70 000 aux Français[2] ; à quoi Guillaume, non sans raison, répliqua que cette différence ne portait guère que sur la cavalerie, laquelle, dans un poste fermé, ne serait pas de grand service. Le roi d’Angleterre ajouta que l’on n’avait que sept ponts sur la Geete, que le passage, sous le feu de l’ennemi, serait dangereux et difficile, qu’on y risquait au moins de perdre l’arrière-garde, l’artillerie et le gros bagage. En revanche, il se fit fort, si l’on voulait le laisser faire, de retrancher le camp, de manière que la position, déjà bonne par elle-même, devînt inexpugnable. Bref, il se montra si confiant, il persuada si bien ses auditeurs, que l’électeur de Bavière proposa, dans son enthousiasme, de « rompre les ponts » derrière soi, pour mieux marquer combien l’on était sûrs de la victoire. La rencontre ainsi résolue, on ne s’occupa plus qu’à se mettre en défense. Là se manifesta le génie fécond de Guillaume, le don merveilleux qu’il avait de métamorphoser les hommes en instrumens dociles, de leur souffler sa farouche énergie.

Les Alliés occupaient une plaine assez spacieuse sur la rive droite de la Geete. Ils étaient adossés à cette petite rivière, aux berges escarpées, qui les protégeait par derrière ; ils avaient encore à leur droite un affluent de ce cours d’eau, à leur gauche,

  1. Lettre d’un officier général de l’armée confédérée, sur ce qui s’est passé à la bataille de Wangen (Nerwinde), 31 juillet 1693. (Bibl. nationale L. 37-4828. Pièce.)
  2. Ce sont en effet les chiffres qui résultent des évaluations faites dans l’une et l’autre armée avant la bataille. Un document hollandais indique pour les Alliés le chiffre précis de cinquante-huit mille hommes. On se souvient que la faute récente de Guillaume venait de le priver d’environ vingt mille combattans.