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Je suis à cheval, et je vais sans but. M’étant par hasard joint à un groupe de cavaliers persans, qui ont l’air de savoir où ils vont, me voici dans les ruines d’un palais, ruines étincelantes de mosaïques de miroir, ruines exquises et fragiles que personne ne garde. — Au siècle du grand Chah, il y en avait tant, de ces palais de féerie ! — La cour d’honneur est devenue une espèce de jungle, pleine de broussailles, de fleurs sauvages ; et un petit marchand de thé, en prévision de la promenade du vendredi, a installé ses fourneaux dans une salle aux fines colonnes, dont le plafond est ouvragé, compliqué, doré, avec le luxe le plus prodigue et la plus frêle délicatesse. C’était un palais impérial, une fantaisie de souverain, car l’emplacement du trône est là, facile à reconnaître : dans le recul d’une seconde salle un peu sombre, l’estrade où il reposait, et l’immense ogive destinée à lui servir d’auréole. Elle est très frangée de stalactites, il va sans dire, cette ogive, que surmontent deux chimères d’or, d’une inspiration un peu chinoise ; mais le fond en est tout à fait inattendu ; au lieu de se composer, comme ailleurs, d’une plus inextricable mêlée de rosaces ou d’alvéoles, aux moindres facettes serties d’or, il est vide ; il est ouvert sur un tableau lointain, plus merveilleux en vérité que toutes les ciselures du monde : dans l’éclat et dans la lumière, c’est un panorama d’Ispahan, choisi avec un art consommé ; c’est la ville de terre rose et de faïence bleue, déployée au-dessus de son étrange pont aux deux étages d’arceaux ; coupoles, minarets et tours de la plus invraisemblable couleur, miroitant au soleil, en avant des montagnes et des neiges. Tout cela, vu de la somptueuse pénombre rouge et or où l’on est ici, et encadré dans cette ogive, a l’air d’une peinture orientale très fantastique, d’une peinture transparente, sur un vitrail.

Et il n’y a plus personne pour regarder cela, qui dut charmer jadis des yeux d’empereur ; le petit marchand de thé, à l’entrée, n’a même pas de cliens. Sous les beaux plafonds prêts à tomber en poussière, je reste longuement seul, pendant qu’un berger tient mon cheval dans la cour, parmi les ronces, les coquelicots et les folles avoines.

A une demi-lieue plus loin, dans des champs de pavots blancs et violets, autre palais encore, autre fantaisie de souverain, avec encore l’emplacement d’un trône. Il s’appelle la Maison des miroirs, celui-ci, et, en son temps, il devait ressembler à un palais