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adorable a résisté au temps, et sur lesquelles des personnages de Cour sont peints avec une grâce naïve et une minutieuse conscience, le moindre détail de leurs armes ou de leurs pierreries pouvant supporter qu’on le regarde à la loupe ; toute cette partie de la population iranienne qu’il m’est interdit de voir est figurée là avec une sorte de dévotion amoureuse : belles du temps passé, dont on a visiblement exagéré la beauté, sultanes aux joues bien rondes et bien carminées, aux trop longs yeux cerclés de noir, qui penchent la tête avec excès de grâce, en tenant une rose dans leur main trop petite... Et parfois, à côté de peintures purement persanes, on en rencontre une autre qui rappelle tout à coup la Renaissance hollandaise : œuvre de quelque artiste occidental, aventureusement venu ici jadis, à l’appel du grand empereur d’Ispahan.

Des émaux délicats sur de l’argent ou de l’or, des armes d’Aladin, des brocarts lamés ayant servi à emprisonner des gorges de sultane, des parures, des broderies. De ces tapis comme on n’en trouve qu’en Perse, que composaient jadis les nomades et qui demandaient dix ans d’une vie humaine ; tapis plus soyeux que la soie et plus veloutés que le velours, dont les dessins serrés, serrés, ont pour nous je ne sais quoi d’énigmatique comme les vieilles calligraphies des Corans. Et enfin de ces faïences, introuvables bientôt, dont l’émail a subi au cours des siècles cette lente décomposition qui donne des reflets d’or ou de cuivre rouge.

En sortant de ces maisons délabrées, où les restes de ce luxe mort finissent par donner je ne sais quel désir de silence et quelle nostalgie du passé, je retourne, seul aujourd’hui, à l’« École de la Mère du Chah, » me reposer à l’ombre séculaire des platanes, dans le vieux jardin cloîtré entre des murs de faïence. Et j’y trouve plus de calme encore que la veille, et plus de détachement. Devant l’entrée fabuleuse, un derviche mendie, vieillard en haillons, qui est là adossé, la tête appuyée aux orfèvreries d’argent et de vermeil, tout petit au pied de ces portes immenses, presque nu, à demi mort et tout terreux, plus effrayant sur ce fond d’une richesse ironique. Après le grand porche d’émail, voici la nuit verte du jardin, et la discrète symphonie habituelle à ce lieu : tout en haut vers le ciel et la lumière, chants d’hirondelles ou de mésanges ; en bas, gargouillis léger des fumeurs couchés et bruissement du jet d’eau dans le bassin.