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prévision des grandes chaleurs de l’été et où, le long les parois, ruisselaient des cascades d’eau véritable.


Après mes courses matinales, je suis toujours rentré pour l’instant où les muezzins appellent à la prière du milieu du jour (midi, ou peu s’en faut). A Ispahan, ce sont les muezzins qui donnent l’heure, comme chez nous la sonnerie des horloges, et ils chantent sur des notes graves, inusitées en tout autre pays d’Islam. Dans la plus voisine mosquée, ils sont plusieurs qui appellent ensemble, plusieurs qui répètent, en longues vocalises, le nom d’Allah, au milieu du silence, à ces midis de torpeur et de lumière, plus brûlans chaque jour. Et, en les écoutant, il semble que l’on suive la traînée de leur voix ; on la sent passer au-dessus de toutes les mystérieuses demeures d’alentour, au-dessus de tous les jardins pleins de roses, où ces femmes, que l’on ne verra jamais, sont assises à l’ombre, dévoilées et démasquées, confiantes dans la hauteur des murs.


Mercredi 16 mai. — On m’emmène l’après-midi à la découverte des bibelots rares, qui ne s’étalent point dans les échoppes, mais s’enferment dans des coffres, au fond des maisons, et ne se montrent qu’à certains acheteurs privilégiés. Par de vieux escaliers étroits et noirs, dont les marches sont toujours si hautes qu’il faut lever les pieds comme pour une échelle, par de vieux couloirs contournés et resserrés en souricière, nous pénétrons dans je ne sais combien de demeures d’autrefois, aux aspects clandestins et méfians. Les chambres toutes petites, où l’on nous fait asseoir sur des coussins, ont des plafonds en arabesques et en alvéoles ; elles s’éclairent à peine, sur des cours sombres, aux murs ornés de faïences ou bizarrement peinturlurés de personnages, d’animaux et de fleurs. D’abord nous acceptons la petite tasse de thé, qu’il est de bon ton de boire en arrivant. Ensuite les coffres de cèdre, pleins de vieilleries imprévues, sont lentement ouverts devant nous, et on en tire un à un les objets à vendre, qu’il faut démailloter d’oripeaux et de guenilles. Tout cela remonte au grand siècle du Chah Abbas, ou au moins aux époques des rois Sophis qui lui succédèrent, et ces déballages, ces exhumations dans la poussière et la pénombre, vous révèlent combien fut subtil, distingué, gracieux, l’art patient de la Perse. Boîtes de toutes les formes, en vernis Martin, dont le coloris