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des milliers d’objets curieux ou éclatans ; les places où ces avenues se croisent sont toujours recouvertes d’une large et magnifique coupole, très haut suspendue, avec une ouverture au milieu, par où tombent les rayons clairs du soleil de Perse : chacun de ces carrefours est aussi orné d’une fontaine, d’un bassin de marbre où trempent les belles gerbes des marchands de roses, et où viennent boire les gens, les ânes, les chameaux et les chiens. Le bazar des teinturiers, monumental, obscur et lugubre, donne l’idée d’une église gothique démesurément longue et tendue de deuil, avec toutes les pièces d’étoffe ruisselantes de teinture qui s’égouttent, accrochées partout jusqu’en haut des voûtes, — bleu sombre pour les robes des hommes, noir pour les voiles des dames-fantômes.

Dans le bazar des marteleurs de cuivre, d’une demi-lieue de long et sans cesse vibrant au bruit infernal des marteaux, les plus gracieuses aiguières, les buires de cuivre des formes les plus sveltes et les plus rares, brillent toutes neuves aux devantures des échoppes, à travers la pénombre enfumée.

Comme à Chiraz, c’est le bazar des selliers qui est, dans toute son étendue, le plus miroitant de broderies, de dorures, de perles et de paillettes. Les fantaisies orientales pour voyageurs de caravane s’y étalent innombrables : sacs de cuir, chamarrés de broderies de soie ; poires à poudre très dorées, gourdes surchargées de pendeloques ; petites coupes de métal ciselé pour boire l’eau fraîche aux fontaines du chemin. Et puis viennent les houssines de velours et d’or, destinées aux ânesses blanches des dames ; les harnais pailletés pour les chevaux ou les mules ; les guirlandes de sonnettes, dont le carillon épouvante les bêtes fauves. Et enfin tout ce qui est nécessaire à la vraie élégance des chameaux : rangs de perles pour passer dans les narines, bissacs frangés de vives couleurs ; têtières ornées de verroteries, de plumets et de petits miroirs où joueront pendant la marche les rayons du soleil ou les rayons de la lune.

Une des ogives immenses nous envoie tout à coup son flot de lumière, et la place Impériale nous réapparaît, toujours saisissante de proportions et de splendeur, avec ses enfilades d’arceaux réguliers, ses mosquées qui semblent se coiffer de monstrueux turbans d’émail, ses minarets fuselés, où du haut en bas s’enroulent en spirale des torsades blanches et des arabesques prodigieusement bleues.