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porche immense, on voit comme une cascade de stalactites bleues, qui tombe du haut des cintres ; elle se partage en gerbes régulières, et puis en myriades symétriques de gouttelettes, pour glisser le long des murailles intérieures, qui sont merveilleusement brodées d’émaux bleus, verts, jaunes et blancs. Ces broderies d’un éclat éternel représentent des branches de fleurs, enlacées à de fines inscriptions religieuses blanches, par-dessus des fouillis d’arabesques en toutes les nuances de turquoise. Les cascades, les traînées de stalactites ou d’alvéoles, descendues de la voûte, coulent et s’allongent jusqu’à des colonnettes, sur quoi elles finissent par reposer, formant ainsi des séries de petits arceaux, dentelés délicieusement, qui s’encadrent, avec leurs harmonieuses complications, sous le gigantesque arceau principal. L’ensemble de cela, qui est indescriptible d’enchevêtrement et de magnificence, dans des couleurs de pierreries, produit une impression d’unité et de calme, en même temps qu’on se sent enveloppé là de fraîche pénombre. Et, au fond de ce péristyle, s’ouvre la porte impénétrable pour les chrétiens, la porte du saint lieu, qui est large et haute, mais que l’on dirait petite, tant sont écrasantes les proportions de l’ogive d’entrée ; elle plonge dans des parois épaisses, revêtues d’émail couleur lapis ; elle a l’air de s’enfoncer dans le royaume du bleu absolu et suprême.


Quand je reviens à la maison de Russie, le portique, seule entrée de l’enclos, que gardent les bons cosaques, est décoré de vieilles broderies d’or et de vieux tapis de prière, piqués au hasard sur le mur avec des épingles, comme pour un passage de procession. Et c’est pour me tenter, paraît-il ; des marchands arméniens et juifs, ayant eu vent de l’arrivée d’un étranger, se sont hâtés de venir. Je demande pour eux la permission d’entrer dans le jardin aux roses, — et cela devient un des amusemens réguliers de chaque matin, sous la véranda de mon logis, le déballage des bibelots qui me sont offerts, et les marchandages en toutes sortes de langues.

L’après-midi, mon escorte à bâtons me promène dans les bazars, où règnent perpétuellement le demi-jour et l’agréable fraîcheur des souterrains. Toutes leurs avenues menacent ruine, et il en est beaucoup d’abandonnées et de sinistres ; celles où les vendeurs continuent de se tenir sont bien déchues de l’opulence ancienne ; cependant on y trouve encore des foules bruyantes, et