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que ces États restent absolument maîtres de soumettre leurs affaires contentieuses ou de ne pas les soumettre à la Cour arbitrale. Il en était déjà de même avant les traités. Autant ceux-ci sont formels et catégoriques lorsqu’il s’agit de limiter, en définissant leur caractère, les litiges à porter devant la Cour de La Haye, autant ils deviennent vagues et volontairement imprécis lorsqu’ils ouvrent le champ des exceptions. On peut y faire entrer tout ce qu’on voudra. Qui sera juge, sinon moi, de savoir si mes intérêts vitaux, mon indépendance ou mon honneur sont engagés dans l’affaire ? Dès lors, je conserve ma pleine liberté d’appeler mon adversaire devant un arbitre, ou de me battre avec lui. L’arbitrage ne supprimera donc pas la guerre. Cela arrivera peut-être dans une humanité future qui sera toute différente de celle d’aujourd’hui et de celle d’hier. En attendant, l’observation la plus favorable à faire sur nos deux traités avec l’Angleterre et avec l’Italie est que nous n’aurions pu les conclure ni avec l’une, ni avec l’autre, si nos rapports avec elles ne s’étaient pas améliorés au point de devenir amicaux. Ces deux traités sont une heureuse manifestation de notre rapprochement, et rien de plus.

On nous pardonnera cette digression, si c’en est une. Dans les récentes discussions du budget des Affaires étrangères à la Chambre et au Sénat, toutes ces questions de paix, de guerre, d’arbitrage, de désarmement, — car c’est toujours au désarmement qu’on conclut d’un certain côté, — ont été traitées en termes plus discrets que les nôtres, mais pourtant explicites. Le gouvernement a dit son mot sur les idées plus ou moins confuses qui hantent les esprits, ou même les égarent, et nous lui rendons la justice qu’il a dit le mot juste. En ce qui concerne les affaires d’Extrême-Orient, il s’est montré optimiste : sa situation l’y obligeait peut-être, car, s’il avait laissé voir de l’appréhension, il en aurait fait naître une cent fois plus grande. Mais qui ne voit, en face d’une réalité concrète comme celle qui s’offre à nous dans le conflit russo-japonais, combien il serait inutile et vain, nous dirons même déplacé, de proposer aux deux parties de recourir à un arbitrage ? Ni l’une ni l’autre ne voudraient en entendre parler, car il ne s’agit entre elles, ni d’un différend de l’ordre juridique, ni de l’interprétation d’un texte, mais d’un de ces intérêts vitaux dont un grand pays ne remet jamais la solution entre les mains d’un tiers. On comprendrait, si la Russie et le Japon voulaient bien s’y prêter, qu’une ou plusieurs puissances amies interposassent leurs bons offices pour les aider à sortir de la difficulté actuelle. On comprendrait même la médiation de celles de ces puissances qui tiennent le plus