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de lacs. Cette absence de rivières est un des traits les plus caractéristiques du Spitzberg. Les pluies y sont rares, les chaleurs et les orages y sont inconnus. Il en résulte un régime spécial. Au lieu de rivières et de torrens, un sol spongieux, des mousses imbibées, sans écoulement. Il n’y a point, comme dans nos Alpes, de ces grosses pluies d’été qui entraînent tout sur leur passage : il n’y a guère que des tempêtes de neige et des brouillards. Aussi bien trouve-t-on de la terre végétale jusque sur les cimes des montagnes. Point de cônes d’avalanche. La décomposition des roches se fait sur place. En un mot, au phénomène d’érosion se substitue le phénomène d’imbibition, suivant la très juste expression de M. Brun, notre géologue genevois.

La vallée de la Sassen Dal, qui n’est que la continuation du fjord des Glaces, est la route que suivit, en 1892, mon ami Charles Rabot lorsqu’il tenta la traversée du Spitzberg occidental entre la Sassen Bay et l’Agardh Bay. Arrivé à moitié route, il dut, alors que le succès était certain, revenir en arrière pour obéir aux ordres du chef militaire de cette expédition. On sait que l’explorateur anglais, sir Martin Conway, reprit cette idée et exécuta, en 1896, la première traversée de la grande île polaire. Aussi bien cette traversée n’est-elle pas très longue : de la Sassen Bay à l’Agardh Bay, il n’y a qu’un isthme étroit qui ne représente que le tiers de la largeur de l’île, les deux autres tiers étant occupés par le long fjord des Glaces. Encore cet isthme est-il traversé, dans sa plus grande portion, par la vallée de la Sassen Dal, vestibule de la côte orientale. Des alpinistes déterminés peuvent, en deux jours, gagner la baie d’Agardh, qui n’est, à vol d’oiseau, qu’à 52 kilomètres de la Sassen Bay. Mais si nous étions équipés pour une semblable expédition, la saison serait trop avancée pour oser la risquer. Il faut donc nous borner à une petite excursion à terre.

La chaloupe nous dépose à minuit au fond de la baie, où nous débarquons sur des conglomérats d’un curieux aspect, profondément rongés par la mer. Nous gravissons la montagne voisine, à laquelle M. Rabot a donné le nom de l’académicien Marmier, qui prit part à l’expédition de la Recherche. Au pied de la montagne le sol est littéralement semé de cornes de rennes, qui attestent combien ces ruminans abondent dans la région. Sur les terres molles, nous rencontrons en maints endroits leurs traces fraîches. Pendant une heure, nous peinons sur des pentes