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montagne située à gauche de l’entrée du goulet ; cette direction Nord-Ouest était fâcheuse pour les débuts de l’expédition.

La chaloupe nous débarque au pied d’un cairn érigé à l’endroit même où le ballon le Orn (l’Aigle) s’éleva dans les airs. La pyramide porte cette laconique inscription en langue suédoise : « D’ici, le 11 juillet 1897, s’élevèrent sur le ballon suédois l’Aigle, à la recherche du pôle Nord, A. Andrée, N. Strindberg et K. Fraenkel. » A quelques pas du monument, que surmonte un drapeau suédois en métal, un énorme amoncellement de bois de charpente, dans un merveilleux état de conservation, marque la place du hangar circulaire où le ballon fut gonflé. Beaucoup de ces pièces de bois portent encore l’empreinte à demi effacée du drapeau suédois, et plusieurs de nos vandales s’offrent la satisfaction puérile de faire scier par un matelot des blocs portant cette empreinte, qu’ils emporteront comme reliques. A côté de ce hangar en ruines subsistent encore les gazomètres avec leurs escaliers croulans, et tout autour le sol est jonché des débris de tout ce qui a servi à la fabrication du gaz. Que d’argent englouti, que d’efforts perdus, que de vies sacrifiées ! Tout près du cairn, nous vîmes un cercueil contenant les restes d’un des ouvriers d’Andrée : on ne peut faire un pas dans cette contrée maudite sans y être ramené à la pensée de la mort !

Bien modeste est la cabane de bois dans laquelle Andrée vécut ses quatre derniers mois : elle semble attendre son retour, et tout y est encore dans l’ordre où il la laissa. Voici la pièce qui lui servait à la fois de cabinet de travail et de chambre à coucher : un lit de camp, une couchette de bois suspendue au mur, deux bancs de bois, un poêle suédois, et une table de bois blanc fixée contre l’une des deux petites fenêtres : sur cette table, à côté des calendriers annotés de la main du héros et de quelques autres papiers, se trouve encore une galette de flatbröd, sorte de pain de seigle qui se conserve indéfiniment : elle est à demi entamée. La pièce voisine, plus étroite, contient des lits superposés et accrochés à la paroi, comme des couchettes de navire ; c’est là qu’habitaient Strindberg et Fraenkel. Sur la porte est affiché l’inventaire du mobilier, écrit de la main d’Andrée. Une petite pièce servait de cuisine. Une échelle très roide mène au grenier, tout encombré de boîtes de conserves, les unes défoncées, les autres encore intactes.

Comme nous avions parmi nous un vénérable prêtre catholique,