Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

touche 30 francs ; la 2e classe, 34 francs ; la 1re classe, 37 francs. A partir du 1er janvier 1903, ces chiffres seront élevés, paraît-il, et cette perspective brille aux yeux. Puisse-t-elle n’être pas un mirage !

Comment, avec de tels salaires, éviter l’écueil que nie, ce soir, le professeur, — espérant ainsi le supprimer, sans doute, — le pourboire obligé à l’infirmière ? Dans certains services, les soins les plus indispensables sont taxés, un sou, deux sous, davantage. Et notez qu’il s’agit de malades indigens, pour lesquels ces petites sommes sont tout autre chose que de l’argent de poche. Que de fois la famille s’est refusé le nécessaire pour n’en pas priver son malade, — ou bien c’est la mince économie réservée pour une convalescence qui s’épuise à ces gratifications, données à contre-cœur...

Et cependant, comment vous condamner, pauvres filles ?... On voudrait voir en vous toutes les qualités ; — on les rencontre quelquefois. — Et que vous offre-t-on en échange du dévouement constant exigé par le bon service des malades ? Pour un travail pénible, souvent répugnant, des appointemens insuffisans, une nourriture médiocre — et quel logement ! Les dortoirs de la Pitié sont légendaires, véritables nids à rats situés sous les combles des plus vieux bâtimens de l’hôpital.

« Je connais des dortoirs, et dans ces dortoirs j’ai vu des lits où la mort guette à chaque minute l’infirmier couché : sous la fenêtre à tabatière, qui ferme mal, la pluie tombait le jour, le froid tombait la nuit. Parquets disjoints, poussières de crachat ? et crottins de la rue, vieilles jupes, chaussettes sales, chiques abandonnées,... on peut tout trouver, dans certains dortoirs, à certaines heures, tout, hormis la santé[1]. » Dans ces greniers, les lits se touchent de si près que les pieds d’une infirmière atteignent l’oreiller d’une autre. Ce détail suffirait... J’en passe, et de plus écœurans.

Quoi d’étonnant, dès lors, à ce que le recrutement du personnel inférieur des hôpitaux soit aussi médiocre ? Quoi d’étonnant surtout à ce que, ce personnel une fois recruté, ceux qui le composent aient pour pensée maîtresse l’allégement de leur tâche, la distraction, — l’oubli de leur misérable condition, vaille que vaille ? Et ne peut-on chercher là, sans aller plus loin, une

  1. Docteur Letulle, la Presse médicale, n° du 8 juin 1901.