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Les deux géans ailés, qui me reçoivent au seuil de ces palais, c’est Xerxès qui eut la fantaisie de les poster ici en vedette. — Et ils me révèlent sur leur souverain des choses intimes que je ne m’attendais point à jamais surprendre ; en les contemplant, mieux qu’en lisant dix volumes d’histoire, je conçois peu à peu combien fut majestueuse, hiératique et superbe, la vision de la vie dans les yeux de cet homme à demi légendaire.

Mais les immenses salles dont ils gardaient les abords n’existent plus depuis tantôt vingt-trois siècles, et on ne peut qu’idéalement les reconstituer. En beaucoup plus grandiose, elles devaient ressembler à ce que l’on voit encore dans les vieilles demeures princières du moyen âge persan : une profusion de colonnes, d’une finesse extrême en comparaison de leur longueur, des espèces de grandes tiges de roseau, soutenant très haut en l’air un toit plat. — Les hommes d’ici furent, je crois, les seuls à imaginer la colonne élancée, la sveltesse des formes, dans cette antiquité où l’on faisait partout massif et puissamment trapu. — Toujours suivis de nos chevaux, dont les pas résonnent trop sur les dalles, nous nous avançons au cœur des palais, vers les quartiers magnifiques de Darius. Les colonnes brisées jonchent le sol ; il en reste debout une vingtaine peut-être, qui de loin en loin s’élèvent solitairement, toutes droites et toutes minces, dans le ciel pur ; elles sont cannelées du haut en bas ; leur socle est taillé en monstrueux calice de fleur, et leur chapiteau très débordant, qui parait en équilibre instable dans l’air, représente, sur chacune de ses quatre faces, la tête et le poitrail d’un bœuf. Comment tiennent-elles encore, si audacieuses et si longues, depuis deux mille ans que les charpentes de cèdre ne sont plus là-haut pour les relier les unes aux autres ?

Les esplanades se superposent, les escaliers se succèdent à mesure que l’on approche des salles où trôna le roi Darius. Et la face de chaque assise nouvelle est toujours couverte de patiens bas-reliefs, représentant des centaines de personnages, aux nobles roideurs, aux barbes et aux chevelures frisées en petites boucles : des phalanges d’archers, tous pareils et inscrits de profil ; des défilés rituels, des monarques s’avançant sous de grands parasols que tiennent des esclaves ; des taureaux, des dromadaires, des monstres. En quelle pierre merveilleuse tout cela a-t-il été ciselé, pour que tant de siècles n’aient même pu rien dépolir ? Les plus durs granits de nos églises, après trois