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que l’on aperçoit en ouvrant n’importe quel traité de chimie, rappellent singulièrement les atomes crochus d’Epicure.

Si la valence était toujours la même pour la même espèce d’atome, on pourrait, à l’avance, établir toutes les combinaisons d’atomes capables de constituer des molécules. Malheureusement, il n’en est rien : la valence d’un atome est sujette à varier ; seulement, en général, elle ne change pas de parité, en ce sens qu’un atome trivalent ne peut que devenir mono ou pentavalent, tandis qu’un atome bivalent ne peut que devenir tétra ou hexavalent. Toutefois, si les considérations sur la valence n’ont qu’une valeur relative, elles n’en ont pas moins rendu et n’en rendent pas moins encore les plus grands services, car c’est à la notion de la valence en général, et de la tétravalence du carbone en particulier, que la chimie organique doit les immenses progrès qu’elle a accomplis depuis un demi-siècle.

Ces considérations, en effet, ont donné aux chimistes la possibilité d’établir d’une façon rationnelle, en s’aidant, d’ailleurs, de la notation de Kékulé, les formules de constitution des corps, formules qui, en mettant en évidence les groupemens fonctionnels de leurs molécules, permettent de prévoir leurs réactions, et, par suite, de créer, pour ainsi dire à volonté, une multitude de corps que l’on ne rencontre pas dans la nature. Ces mêmes formules fournissent, de plus, dans un grand nombre de cas, l’explication de phénomènes qui échappaient autrefois à toute interprétation, à savoir les phénomènes d’isomérie.

On s’était contenté, pendant longtemps, de supposer que la dissemblance entre deux corps dont la molécule renferme les mêmes atomes et en même nombre était due à l’arrangement différent des atomes dans l’espace, sans pouvoir rien préciser à cet égard. Grâce aux formules dites de constitution, on est parvenu à déterminer les rapports de position des différens groupes ou sous-groupes d’atomes que contient la molécule. On a constaté ainsi qu’il y a différentes sortes d’isomérie : dans certains cas, deux corps ne diffèrent que par la position relative de leurs groupemens fonctionnels, et alors il y a analogie dans les propriétés chimiques ; dans d’autres, ils diffèrent par la nature même de ces groupemens, ce qui entraîne de profondes différences dans ces mêmes propriétés. On a même pu fixer exactement, à l’avance, le nombre d’isomères, chimiquement analogues, que peut posséder un corps, mieux encore, réussir