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délaissé un tel pays, si fertile et si beau sous un ciel si pur ? Pourquoi jadis tant de magnificences accumulées à Persépolis, et aujourd’hui plus rien, qu’un désert de fleurs ?...

Laissant nos bagages et notre suite au pauvre caravansérail où nous passerons la nuit, nous montons à cheval après le repos méridien, escortés de deux jeunes hommes du hameau qui ont voulu nous guider vers ces grandes ruines. Pendant la première lieue, nous sommes dans une véritable mer de pavots blancs et d’orges vertes ; ensuite vient la prairie sauvage, tapissée de menthes et d’immortelles jaunes. Et là-bas au fond, derrière Persépolis qui se rapproche et se dessine, la plaine est barrée par des montagnes funèbres, d’une couleur de basane, où s’ouvrent des trous et des lézardes. Du reste, depuis Chiraz, tout ce pays sans arbres est ainsi : des plateaux unis comme de l’eau tranquille, et séparés les uns des autres par des amas de roches dénudées, aux aspects effroyables.

Mais nulle part encore ces fantaisies de la pierre, toujours inattendues, ne nous avaient montré quelque chose de pareil à ce qui surgit en ce moment sur notre gauche, dans le clair lointain. C’est beaucoup trop immense pour être de construction humaine, et alors cela inquiète par son arrangement si cherché : au centre, une masse absolument carrée, de cinq ou six cents mètres de haut, qui semble une forteresse de Dieux, ou bien la base de quelque tour de Babel interrompue ; et, de chaque côté, posés en symétrie comme des gardes, deux blocs géans, tout à fait réguliers et pareils, qui imitent des monstres assis. Depuis le commencement des temps, les hommes avaient été frappés par la physionomie de ces trois montagnes, bien capables d’inspirer l’effroi du surnaturel ; elles ne sont pas étrangères sans doute au choix qui a été fait de ce lieu pour y construire la demeure terrible des souverains ; vues de ces palais où nous arrivons, elles doivent produire leur effet le plus intense, assez proches pour être imposantes, et juste assez lointaines pour rester indéfinissables.

Les sentiers que nous suivons, au milieu de tant de solitude et de silence, dans les fleurs, sont coupés de temps à autre par des ruisseaux limpides, qui continuent de répandre l’inutile fertilité autour de ces ruines.

Maintenant qu’il est près de nous, ce semblant de village mort, au pied de sa montagne morte, il ne laisse plus de doutes sur ses proportions colossales ; ses terrasses, qui dépassent cinq