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leurs rapprochemens, le nombre des voix dont disposent les candidats, celui des nemini. Il se demande si les cardinaux allemands ou espagnols débarqueront à temps ; — à quelles manœuvres se livre le comte de Kaunitz, ambassadeur de l’Empereur ; — quels sont ceux des cardinaux qu’atteindra l’exclusive de l’Empereur ou celle du roi d’Espagne. On parle beaucoup de Paulucci, de Piazza, « qu’on dit élu, » de Ruffo, d’autres encore. Mais, finalement, tous ces papabili échouent, et c’est la sainteté qui paraît à Poërson avoir triomphé dans la personne d’un dominicain (qui était, en réalité, un jacobin), Pietro-Francesco Orsini. « Chauvin, écrit-il le 6 juin 1724, dit que le Pape est un saint homme envoyé de Dieu pour gouverner pieusement son Église. En effet, cette élection s’est faite par inspiration et non par cabales des hommes, ce qui apparut bien évidemment, puisque, le dimanche matin, vingt-cinq cardinaux furent dans la cellule du cardinal Albano et dirent, tous d’une voix, qu’ils voulaient faire le Pape. Les ministres des couronnes y ayant consenti, ils élurent le cardinal des Ursins, lequel refusa et versa des larmes pendant du temps, mais, pressé par les cardinaux, et inspiré du ciel, il se rendit avec beaucoup de modestie, en se disant indigne de cet honneur. » Apparemment, d’Antin dut être satisfait de cette nouvelle, lui qui souhaitait, avant tout, que « le futur pape eût la douceur et le caractère d’esprit qu’il faut pour maintenir la chrétienté en tranquillité et paix. » Il est vrai qu’en bon Français, il désirait aussi que l’élu du Sacré Collège « fût de nos amis. »

Les fonds, à ce moment, ne manquent pas à l’Académie de France, car d’Antin, plus que tout autre, accorde une aveugle confiance à la banque de Law, qui a « plus de crédit que celle de l’Europe entière. » Puisant largement dans les flots du Pactole ou du Mississipi, le Régent multiplie ses commandes de statues, de médailles, de tableaux ; il acquiert la fameuse Vierge, de Raphaël, qui devint la gloire de la galerie de la maison d’Orléans. Poërson passe son temps à faire encaisser et emballer des objets d’art. Le duc d’Antin Ty stimule de son mieux, « Mgr le Régent estant notre maître à tous. »

Mais, bientôt, survient la banqueroute de Law et sa répercussion est des plus pénibles : « Le dernier édit qui retranche les trois quarts des billets, écrit Poërson le 17 octobre 1720, met plus que jamais dans l’impossibilité de trouver à Rome de