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l’autre, viennent mourir devant une chaîne de sommets rocheux aux grands aspects terribles. Comme ils ont l’air virginal et pur, dans leur blancheur au lever du jour, tous ces pavots, — qui sont destinés pourtant à composer un poison subtil, vendu très cher peur les fumeries d’Extrême-Orient !... Pas d’arbres nulle part ; ma,-une mer de fleurs blanches, qui, dirait-on, s’est avancée comme pour former un golfe, entre des rives de montagnes énormes et chaotiques. Et des vapeurs d’aube, des vapeurs d’un violet diaphane traînent sur les lointains, embrouillent l’horizon libre, du côté où le soleil va surgir, confondent là-bas ces nappes uniformément fleuries, ces champs étranges, avec le ciel.

Maintenant le soleil monte ; ce qui restait d’ombre nocturne fuit peu à peu devant lui sur les champs de fleurs, comme un voile de gaze brune qui s’enroulerait lentement. Et des jeunes filles sortent en troupe du village, pour quelques travaux de la campagne, s’en vont par les petits sentiers, joyeuses, avec des rires, enfouies dans les pavots blancs jusqu’à la ceinture.

C’est l’heure aussi pour nous de partir. Allons-nous-en, par les mêmes sentiers que viennent de suivre les jeunes filles, et où les mêmes fleurs, les mêmes longues herbes nous frôleront...

Mais notre étape d’aujourd’hui sera de courte durée, car, au bout de quatre heures, nous devons rencontrer les grands palais du silence, les palais de Darius et de Xerxès, qui valent bien que l’on s’arrête.

Après avoir franchi deux lieues de pavots blancs, et ensuite d’interminables prairies mouillées, et des ruisseaux et des torrens profonds, nous faisons halte devant un hameau bien humble et bien perdu, qu’entourent une dizaine de peupliers. Nous passerons là deux nuits, dans le plus délabré et le plus sauvage des caravansérails, qui n’a plus ni portes ni fenêtres, mais dont le vieux jardin à l’abandon est exquis, avec ses rosiers en broussailles, ses allées d’abricotiers et ses herbes folles. Des petits enfans viennent, en faisant des révérences, nous apporter des roses, de modestes roses-de-tous-les-mois, presque simples. Prairies désertes alentour ; paix et silence partout. Le ciel se couvre, et il fait frais. On se croirait dans nos campagnes françaises, mais jadis, au vieux temps...

Cependant, là-bas, à deux lieues de nous peut-être, au bout d’une plaine d’herbages et au pied de l’une de ces chaînes de