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dans une interview publiée par un journal new-yorkais, de l’idée burlesque d’offrir un bain à des gens qui, disait-il, ne se soucieraient guère, en hiver surtout, d’une pareille attraction. Il ajoutait que, sans doute, le bain serait obligatoire à l’entrée ; en quoi ce logeur se trompait. L’usage n’en est imposé à personne, mais il est si apprécié par les hôtes de l’endroit que, même dans la saison froide, il n’y est jamais pris moins de 300 bains par jour.

Le Mills Hôtel comporte un restaurant où les femmes sont admises, et où l’on mange à son choix à la carte ou à prix fixe, depuis six heures du matin jusqu’à neuf heures du soir. Le dîner ordinaire coûte 0 fr. 75 centimes et se compose d’un potage, — le jour de ma visite, « soupe au poulet et tomate » ou « consommé jardinière, » — d’un plat de viande ou de poisson, de deux plats de légumes, d’un dessert, — tarte ou pudding, — et de thé, lait ou café. Les boissons alcooliques sont, sans exception aucune, prohibées dans l’hôtel. Ceci semblera dur à nos compatriotes accoutumés à boire du vin, du cidre ou de la bière, mais n’a rien d’extraordinaire dans un pays où la carafe d’eau figure seule, le plus souvent, sur la table des familles moyennes. Ajoutez à ce dîner de 0 fr. 75 un déjeuner du matin de 0 fr. 25 et un souper de 0 fr. 50, — dépenses généralement constatées, — vous remarquerez que, pour 2 fr. 50 par jour, le voyageur ou l’habitué du Mills Hôtel est logé, nourri, chauffé et éclairé, dans une ville où le simple manœuvre est payé de 9 à 10 francs et où l’ouvrier de métier gagne de 12 à 18 francs, suivant les professions.

La clientèle ici vient à la fois d’en haut et d’en bas, de la « bourgeoisie, » — si ce mot avait un sens aux Etats-Unis, — et du peuple. Des prolétaires qui s’affinent et grandissent y coudoient des spéculateurs qui sont tombés et luttent pour se relever : employés, étudians, quelques compagnons au rude maintien à côté de gentlemen un peu fanés mais cravatés de blanc, individus mêlés, appartenant à tous les milieux, point sales ni vulgaires et qui ne sentent pas le logis à bon marché.

Ce qui caractérise cette œuvre d’excellente démocratie, qui hausse le niveau des uns et maintient la dignité des autres, c’est de ne pas être une institution « charitable, » ni même « philanthropique, » où le pauvre se sent plus ou moins entretenu par l’argent du riche. L’argent ici ne s’aumône point, il rapporte. Le taux est modeste, mais il y a un revenu, et l’idée par là est vraiment féconde. M. Mills a voulu que ses locataires