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des bras mutilés, appellent, font d’incompréhensibles signes… Quel monarque habitait donc ici, qui a pu disparaître sans laisser de trace dans l’histoire ? Je m’imaginais que ces ruines, presque inconnues, à moi signalées hier par Hadji-Abbas, dataient des Achéménides ; mais ces maîtres du monde se seraient-ils contentés de si rudes et primitives demeures ? Non, tout cela doit remonter à des époques plus ténébreuses. Il n’y a du reste aucune inscription nulle part, et des fouilles pourraient seules révéler le secret de ces pierres. Mais de tels débris suffisent à prouver que les plateaux de Chiraz, dès les origines, ont été un centre d’activité humaine. Au dire de mes amis chiraziens, il y aurait aussi, au cœur de certaines mosquées, de mystérieux soubassemens antérieurs à toute histoire, de vénérables porphyres taillés dont personne ne sait plus l’âge ; et cela semblerait indiquer que la fondation de la ville remonte bien avant l’année 695 de notre ère, date assignée par les chronologies musulmanes.

Nous avons visité ces palais en courant, et nous rentrons bride abattue, pour conférer encore avec des loueurs de chevaux, tâcher d’organiser quand même le départ.

A l’instant où les muezzins chantent la prière de midi, nous sommes de retour chez nous. Un midi plus chaud que de coutume : c’est aujourd’hui le 1er mai, et on sent l’été venir. « Allah ou Akbar ! » De ma fenêtre, j’aperçois le chanteur de la mosquée voisine, dont l’aspect m’est déjà connu ; un homme en robe verte et barbe grise, un peu vieux pour un muezzin, mais dont la voix mordante charme encore. Haut perché sur sa terrasse d’herbes ; il se détache, non pas devant le ciel, mais devant cette muraille de montagnes cendrées qui enferme ici toutes choses. En plein soleil, la tête levée vers le zénith bleu, il jette son long cri mélancolique dans le silence et la lumière, et ses vocalises couvrent pour moi toutes celles qui s’élancent à la même heure des différens points de Chiraz. Quand il a fini, une autre voix plus éloignée, celle-ci tout à fait fraîche et enfantine, psalmodie encore, traîne quelques secondes de plus dans l’air, et puis tout se tait, et c’est la torpeur méridienne. Sur le ciel magnifique, de minces flocons blancs s’enfuient comme des oiseaux, chassés par un vent qui brûle...

Après une heure et demie de pourparlers, mon nouveau contrat de voyage, comportant deux chevaux de plus, est enfin écrit, condensé en une feuille de grimoire persan, signé et