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bon ; mais ils ne voulaient point être des protestans. Ces licencieuses consciences, lasses d’elles-mêmes jusqu’à la nausée, s’en prenaient à la Réforme, coupable d’après elles d’avoir, trois siècles plus tôt, donné le premier branle à certaines licences.

Tieck, dans Franz Sternbald, reprochait au protestantisme de n’avoir produit qu’un intellectualisme vide ; et il montra bientôt de si vives sympathies à l’idée catholique, qu’on a pu se demander s’il n’était pas mort en fidèle de Rome. Tout au début du romantisme, Novalis, en ses griefs contre la Réforme, était plus décisif encore : le fragment qu’il écrivait sur la chrétienté est l’un des hommages les plus formels rendus à l’idée d’autorité religieuse et d’unité religieuse[1]. Le protestantisme, pour Novalis, n’aurait dû être qu’un régime passager, un épisode révolutionnaire : la Réforme a eu tort de vouloir se perpétuer. Puis la philosophie est venue, qui a rabaissé l’homme dans l’échelle des êtres, en prodiguant, sous le prétexte de diffusion des lumières, ses sarcasmes salissans. Mais l’anarchie où l’esprit humain s’effondre présage une prochaine renaissance de la religion ; l’esprit de Dieu va recommencer de planer sur les eaux. Et Novalis rêve d’une Europe ressuscitée, réconciliée derechef dans la foi en Jésus. Il esquissait ce beau songe au début de 1800, au moment où l’Église catholique allemande était en pleine dislocation : le renouveau de l’idée catholique semblait coïncider, en Allemagne, avec l’effritement de l’organisme catholique. En France, au contraire, vers la même époque, la publication du Génie du Christianisme et la conclusion du Concordat étaient deux faits contemporains l’un de l’autre : le renouveau de l’idée, en France, coïncidait avec la reviviscence de l’organisme.


IV

Évoquer à l’occasion du romantisme germanique la mémoire de Chateaubriand n’est point s’aventurer eu un rapprochement arbitraire. Les romantiques allemands constatèrent, par leur propre expérience, le « génie » du catholicisme, en empruntant à la vieille religion leurs inspirations et en acclimatant leurs âmes en plein moyen âge. Sans oublier, comme on l’a fait trop souvent, les nécessités philosophiques qui inclinaient vers

  1. Voyez, dans la Revue du 15 novembre 1900, l’étude de M. T. de Wyzewa.