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un roman de Tieck. Assurément Zacharias Werner, entre 1800 et 1810, eût volontiers signé cette déclaration ; il eût même pu ajouter que la vertu n’existait pas, puisqu’il ne la « pensait » point. Il n’y a d’ailleurs qu’à lire, sur ses péchés, ses déclarations ultérieures, si l’on se sent, pour l’en absoudre, une indulgence de confesseur : autrement, mieux vaut les ignorer, Werner s’en fut à Rome et continua ses exubérantes fredaines : « Même sur les saintes collines, écrivait-il plus tard, j’ai été criminel : j’ai déshonoré Rome et me suis déshonoré moi-même. »

Subitement, en 1810, le monde diplomatique, où Werner était légendaire, apprit qu’il se faisait catholique ; en 1811 et en 1812, qu’il suscitait des conversions ; en 1813, que, revenu en Allemagne, il entrait au séminaire. Et les uns parlaient d’un coup de la grâce, les autres d’un coup de folie. L’an 1815 trancha la question. La diplomatie européenne, réunie à Vienne en Congrès, se pressait aux sermons enflammés d’un prêtre qui s’accusait de ses propres péchés avant de dénoncer ceux des autres, et qui parlait tellement en prophète que parfois il prêchait en vers : cet Augustin doublé d’un Savonarole n’était autre que Werner. « Les chantres du Christ n’ont jamais été des fats, » criait-il à ses anciens amis romantiques ; et il leur demandait de ne se point borner à conter fleurette à l’Église, et de se conduire en vaillans chrétiens. Mais, romantique toujours, et cédant à cette humeur inquiète qui était la marque de l’école, Werner émigrait bientôt dans le clergé régulier, et s’en allait se faire novice chez les Rédemptoristes de Vienne, sous la direction du célèbre Père Hofbauer. Au cours de cette étape, il fut surpris par la mort. La vie des romantiques laïques était une série d’essais ; la vie de ce romantique ecclésiastique s’achevait en une suite de noviciats.

Kieist et Werner sont aux deux pôles du romantisme. La plupart de leurs coreligionnaires littéraires n’avaient point assez de logique pour atteindre à l’un ou à l’autre de ces pôles : ils restaient plutôt à mi-chemin, entre l’un et l’autre. Mais rester à mi-chemin, c’était déjà avoir fait une moitié de route vers le catholicisme. Car, dans cette crise, — crise morale non moins que littéraire, — que traversait l’élite de l’intelligence allemande, l’alternative se dessinait entre l’obédience romaine et l’agnosticisme absolu. Les romantiques étaient des incroyans, ou des demi-catholiques, ou même des catholiques pour tout de