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qu’on apporte beaucoup de chardons secs, dans l’âtre où nous allumerons notre feu.

La muezzin jette ses longs appels chantés. Les oiseaux, cessant de tournoyer, se couchent dans les branches de quelques peupliers rabougris, qui sont les seuls arbres à bien des lieues alentour. Et des petites filles d’une douzaine d’années se mettent à danser en rond, comme celles de chez nous les soirs de mai ; petites beautés persanes que l’on voilera bientôt, petites fleurs d’oasis destinées à se faner dans ce village perdu. Elles dansent, elles chantent ; tant que dure le transparent crépuscule, elles continuent leur ronde, et leur gaieté détonne, dans l’âpre tristesse de Dehbid...


Lundi 7 mai. — Le soleil va se lever quand nous jetons notre premier regard au dehors, par les trous de notre mur de terre. Une immense caravane, qui vient d’arriver, est au repos sur l’herbe toute brillante de gelée blanche ; les dos bossus des chameaux, les pointes de leurs selles se détachent sur l’Orient clair, sur le ciel idéalement pur du matin, et, pour nos yeux mal éveillés, tout cela d’abord se confond avec les montagnes pointues qui sont pourtant si loin, là-bas, au bout des vastes plaines.

Nous repartons dans le désert monotone, où quelques asphodèles commencent d’apparaître, dressant leurs quenouilles blanches au-dessus des petites floraisons grisâtres ou violacées que nous avions coutume de voir.

A midi, sous un soleil devenu tout à coup torride, nous retrouvons au point indiqué nos bêtes et nos gens qui étaient perdus. Mais quel sinistre lieu de rendez-vous que ce caravansérail de Khan-Korrah ! Pas le moindre village dans les environs. Au milieu d’une absolue solitude et d’un steppe de pierre, ce n’est qu’une haute enceinte crénelée, une place où l’on peut dormir à l’abri des attaques nocturnes, derrière des murs. Aux abords, gisent une douzaine de squelettes, carcasses de cheval ou de chameau, et quelques bêtes plus fraîchement mortes, sur lesquelles des vautours sont posés. D’énormes molosses et trois hommes à figure farouche, armés jusqu’aux dents, gardent cette forteresse, où nous entrons pour un temps de repos à l’ombre. Intérieurement la cour est jonchée d’immondices, et des carcasses de mule achèvent d’y pourrir : les bêtes avaient agonisé là, après quelque étape forcée, et on n’a pas pris la peine de-les jeter