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Vue de près, elle n’est plus qu’une ruine, la belle mosquée sainte, devant laquelle nous voici arrivés ; sous son étourdissant luxe d’émail, elle croule, elle s’en va, — et, bien entendu, jamais ne sera réparée. Aux différens bleus qui dominent dans son revêtement de faïence, un peu de jaune, un peu de vert se mêlent, juste assez pour produire de loin une teinte générale de vieille turquoise. Quelques branches d’iris et quelques branches de roses éclatent aussi, çà et là, dans cet ensemble ; les maîtres émailleurs les ont jetées, comme par hasard, au travers des grandes inscriptions religieuses, en lettres blanches sur fond bleu de roi, qui encadrent les portes et courent tout le long des frises. Mais par où peut-on bien y entrer, dans cette mosquée ? D’où nous sommes, les portiques, toute la base, semblent disparaître dans des amas de terre et de décombres ; les maisons centenaires d’alentour, ébranlées aux trois quarts, ont commencé de l’ensevelir.


Quand je rentre chez moi, passant par le petit bazar juif de mon quartier, toutes les échoppes sont fermées, et les marchands se tiennent assis devant les portes, quelque livre mosaïque à la main : c’est le jour du sabbat ; je n’y pensais plus. Ici, les gens d’Israël se reconnaissent à une tonsure obligée, derrière, depuis la nuque jusqu’au sommet de la tête.


Dimanche 29 avril. — De bon matin dans la campagne, avec Hadji-Abbas, pour aller avant l’ardeur du soleil visiter le tombeau du poète Saadi et le tombeau du poète Hafiz.

D’abord nous suivons cette route d’Ispahan, que sans doute, dans deux ou trois jours, nous prendrons pour ne plus jamais revenir ; elle est large et droite, entre des mosquées, de paisibles cimetières aux cyprès noirs, et des jardins d’orangers dont les longs murs en terre sont ornés d’interminables séries d’ogives ; quantité de ruisseaux et de fossés la traversent, mais cela est sans importance, puisqu’il n’y a point à y faire passer de voitures. Les oiseaux chantent le printemps et, comme toujours, il fait adorablement beau sous un ciel d’une limpidité rare. Au pied des énormes montagnes de pierre qui limitent de tous côtés la vue, on aperçoit, sur de plus proches collines, une mince couche de verdure, et ce sont les vignes qui produisent le célèbre vin de Chiraz, — dont les Iraniens, en cachette,