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Don Giovanni, ces chefs-d’œuvre de Mozart qu’on pourrait appeler italiens ; si l’ouvrage n’approche pas, pour l’élévation des idées, pour la liberté du style, pour la variété des formes et leur mélange, de la Flûte enchantée, le chef-d’œuvre allemand du maître, il n’en est pas moins vrai qu’entre les pages de cette partition, la petite fleur bleue dont parle Henri Heine a commencé de fleurir. Elle embaume, au premier acte, les délicieux couplets d’Osmin. Joyeux et pourtant mélancoliques, légers en même temps que profonds, ils expriment le même sentiment, la même tendresse, que chanteront plus tard, sur un ton plus relevé, les strophes alternées de Papageno et de Pamina ; plus tard encore, sur le mode sublime, les mélodies de Léonore et de Florestan. L’Enlèvement au sérail, la Flûte enchantée, Fidelio, marquent trois degrés dans l’histoire de l’opéra allemand. Grillparzer, je crois, aimait à se représenter Mozart comme un bel adolescent gracieusement couché entre l’Allemagne et l’Italie. Pour la première fois dans l’Enlèvement au sérail, Mozart a regardé et soupiré du côté de l’Allemagne.

Enfin c’est à propos de l’Enlèvement au sérail que Mozart a défini son idéal de musicien dramatique en ces mots bien connus : « Dans un opéra il faut absolument que la poésie soit la fille obéissante de la musique. » Dans un opéra tel que l’Enlèvement au sérail, la poésie fait plus qu’obéir : elle s’abaisse, elle s’efface, elle disparaît. La musique agit seule. Seule, — je songe surtout au quatuor, à quelques airs de ténor, qui sont exquis, — seule, en dehors ou plutôt au-dessus des situations banales, des personnages insignifians et des inutiles discours, elle crée l’ordre ou le monde infini des sentimens, et, parlant de Mozart, on dirait presque des vertus : de la douceur, de la tendresse et de la pureté. La musique est admirable quand elle coopère avec le verbe au miracle de la beauté ; mais je doute s’il ne faut pas l’admirer davantage quand elle accomplit ce même prodige toute seule et tout entier.

Deux jeunes cantatrices, Mlles Lindsay et Verlet, ont débuté dans l’Enlèvement au sérail. Elles ont toutes les deux — surtout la première — un peu de la voix et du style qu’il faut pour chanter Mozart. De Tua et de l’autre, au contraire, M. Affre est totalement dépourvu.


Don Juan a besoin, plus que l’Enlèvement au sérail, de la parole, ou de la poésie. Mais il peut, sans trop de dommage, se passer de la représentation théâtrale. Il gagne même, infiniment, à n’être pas représenté sur le théâtre de l’Opéra. C’est ce qu’on savait depuis