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Cavalieri, celui d’Adamberger et le trio qui termine le premier acte sont achevés. »

Le reste ne lui coûta ni plus de temps ni plus de peine, et ce ne fut pas sa faute, mais celle des circonstances et de la cabale, si l’opéra ne fut joué qu’en juillet 1782, avec un succès éclatant.

En 1781, Mozart a vingt-cinq ans. Il vient de se fixer à Vienne pour toujours et de quitter le service humiliant de son indigne maître, l’archevêque de Salzbourg. Ses lettres d’alors sont pleines de détails sur son ouvrage et sur sa vie. Elle était faite, cette vie, de travail et d’amour, déjà de soucis et d’inquiétude matérielle, sinon de misère encore, mais aussi de la joie idéale, de l’innocente et vraiment divine joie qui fut le génie même de Mozart et que la douleur humaine ne put jamais détruire ou seulement altérer.

« Dès six heures du matin, en tout temps, on me frise, et à sept heures je suis complètement habillé. Alors je compose jusqu’à neuf heures. De neuf heures à une heure, j’ai mes leçons ; puis je mange, quand je ne suis pas invité quelque part, où on dîne à deux et même à trois heures... Je ne puis pas travailler avant cinq ou six heures du soir et souvent j’en suis empêché par un concert, sinon je compose jusqu’à neuf heures. Je vais alors chez ma chère Constance... où le plaisir de nous voir est généralement empoisonné par les aigres discours de sa mère... A dix heures et demie ou onze heures, je rentre chez moi ; cela dépend de l’impétuosité de sa mère et de mes forces à l’endurer[1]. » Quant à sa « chère Constance, » Mozart fait d’elle à chaque instant des portraits délicieux. Il aime tout en elle, ou si, par hasard, il lui reproche la moindre chose, comme de s’être, en jouant aux petits jeux, laissé mesurer le mollet avec un ruban, rien n’est plus délicat, plus touchant que sa manière de la reprendre, hormis sa façon de lui pardonner.

Le père de Mozart s’opposa longtemps au mariage. Il céda pourtant, ému par des lettres vraiment admirables, qui révèlent chez Mozart une âme aussi pure que son génie, et peu de semaines après la première représentation de l’Enlèvement au sérail, Mozart et Constance furent unis.

On s’accorde à reconnaître dans l’Enlèvement au sérail le premier des vrais opéras allemands. Il l’est par le texte, ou la lettre, et quelquefois par l’esprit. Si l’Enlèvement au sérail se partage en morceaux détachés, airs, duos, ensembles, comme feront plus tard le Nozze et

  1. Lettres de Mozart, traduction de M. de Curzon, chez Hachette.