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lui, pourquoi la misère ? Et pourquoi même en lui, surtout en lui ? Pas plus qu’au bonheur des autres, nous ne voyons d’obstacle à son bonheur, à son amour. Une méprise du Hollandais, son injuste soupçon, diffère son salut et crée naturellement cette péripétie morale et cette faute du doute, chère à Wagner, et que la souffrance, la mort même peut seule racheter. Ici rien de semblable ; rien qu’une série d’effets dont les causes nous échappent. D’où l’incertitude, l’obscurité, la faiblesse dramatique d’un symbolisme sous lequel la base humaine et logique se dérobe. A force de prétendre signifier, — et signifier des choses vagues, flottantes, — les personnages finissent par ne plus être. Des deux Vaisseaux-fantômes, le plus fantôme n’est pas l’allemand, et le poème de M. d’Indy, épreuve d’un original de Wagner, en est une épreuve atténuée et pâlie.

« Action musicale, » disent la partition et l’affiche. Il semble qu’elles disent mal. L’action, bien entendu l’action intérieure, la seule dont la musique aujourd’hui se soucie, languit et traîne dans une œuvre où le sentiment revient sur soi-même et tourne beaucoup plus qu’il ne s’accroît. Fervaal avait plus de mouvement. Le progrès dramatique y était autrement sensible. Le sujet et le héros s’élevaient ensemble jusqu’aux cimes finales, très hautes et très pures. Ici, des deux duos qui font toute la matière psychologique de l’ouvrage, le second est la répétition plutôt que le développement ou l’exaltation du premier ; analogues, identiques même par nature, en degré du moins ils devraient différer davantage.

Avec plus d’intérêt dramatique, on voudrait plus de lyrisme aussi, « Drame lyrique ; » de ce titre, que prend l’opéra contemporain, l’épithète, comme le nom, se trouve rarement justifiée.

Ils ne sont pas nombreux dans l’Étranger, les passages que, dans l’opéra de jadis, le président de Brosses appelait « les endroits forts » et dont le récitatif emplissait les intervalles. C’était des airs alors ; ils pourraient aujourd’hui recevoir une autre forme et Wagner la leur a souvent donnée. Je veux parler de ces momens où la musique, de chant ou d’orchestre, au besoin de l’un et de l’autre à la fois, au contact d’une idée claire, surtout d’une passion vive, s’anime, s’échauffe, se développe avec abondance pour s’épanouir avec splendeur. Les « Adieux de Wotan » à la fin de la Walkyrie ; le chant de la forge (premier acte de Siegfried) ; au second acte de Tristan et Yseult, le nocturne à deux voix, sont parmi les chefs-d’œuvre de ce lyrisme, que l’évolution de l’art moderne a pu renouveler, mais qu’elle ne saurait abolir. Et cette beauté nécessaire, éternelle, avait